Le Procureur a eu la main lourde, hier, dans le dossier impliquant des membres du personnel de la Cour d’appel de Dakar, notamment Abibatou Gaye et Lamine Diagne. Il a requis 10 ans ferme à l’encontre de Lamine Diagne et 7 ans ferme contre Abibatou Gaye. Lamine Diagne a reconnu les faits, mais son acolyte présumée a réfuté les accusations. Verdict le 8 mai.
L’affaire du scandale de la Cour d’appel a été évoquée, hier, devant le juge correctionnel. Mais, l’audience s’est déroulée sur fond d’apologie du fonctionnement de l’administration sénégalaise, à la suite du réquisitoire sévère, selon la défense, du procureur de la République. En effet, le représentant du ministère public n’y est pas allé de main morte. Il a requis 10 ans de prison ferme à l’encontre de Amadou Lamine Diagne, Issakha Lakhoune et Moussa Ndiaye, qui sont poursuivis pour association de malfaiteurs, corruption passive et corruption active, faux et usage de faux dans un document administratif et entrave au fonctionnement de la justice. S’agissant de Abibatou Gaye et Alioune Tall, le représentant du parquet a requis 7 ans de prison ferme et 3 mois assortis du sursis pour la vendeuse de poisson Sarotte Sow. Le parquet a été d’autant plus à l’aise dans cette affaire que les prévenus ont presque tous reconnu les faits. Seule Abibatou Gaye, commis d’administration à la Cour d’appel, chargée de l’enregistrement au service courrier, les a réfutés. Elle a reçu par deux envois par Orange Money, 50.000 francs au total, de la part de Alioune Tall, après un service rendu. En fait, la dame devait enrôler le dossier d’un certain Mamadou Diouf dans une chambre différente de la 1ère où les juges sont réputés très sévères. A l’en croire, l’argent était un cadeau qu’elle a reçu bien après et qu’il lui fallait juste l’enrôler au plus vite pour que le dossier ne traîne pas. Cependant, sur l’explication des envois, Alioune Tall, qui lui a envoyé l’argent, avait beaucoup de mal à s’expliquer.
Lamine Diagne aurait même trompé la vigilance du Procureur général
Par ailleurs, pour ce qui est de Lamine Diagne, il n’a pas cherché à se débiner. Il a reconnu avoir fait usage de fausses feuilles d’audience, des avertissements à prévenus ainsi que des résultats d’audience pour faire sortir de prison des individus, selon que la personne ait fait appel ou qu’il n’ait pas fait appel. Après sa retraite de l’administration pénitentiaire, il est allé directement à la Cour d’appel, précisément au service de l’enrôlement où il a servi pendant 8 ans. Bénéficiant de la confiance des magistrats, il s’en est servi pour avoir des signatures sur des résultats d’audiences fictives. Beaucoup de substituts du Procureur général et même le Procureur général seraient tombés dans son piège, du fait de la confiance qu’ils lui vouaient. Ce qui fait que pour des personnes condamnées à deux ans, par exemple, il réussissait à réduire la peine. C’est ce qu’il a fait pour Moussa Ndiaye et Issakha Lakhoune, qui ont appris que leurs peines avaient été réduites et qu’ils pouvaient sortir de prison, sans comparution devant une Cour d’appel. Ce, moyennant de l’argent. A leur sortie de prison, ils ont continué à trouver des clients à Lamine Diagne, moyennant des commissions. Mais, pour Moussa Ndiaye, c’est juste deux de ses amis qui ont été sortis de prison par Lamine Diagne, après qu’ils lui ont remis chacun 150.000 francs et il n’a pas reçu de commission. Ainsi, les trois bonhommes ont travaillé ensemble de 2015 à 2017. Il ressort du dossier que 167 faux avertissements à prévenus ont été trouvés. Il est ressorti des débats que le trio est intervenu à Dakar, Tivaouane, Gossas, Mbour etc. La vendeuse de poissons, moins impliquée dans cette affaire, a eu à remettre 375.000 francs à Issakha Lakhoune pour faire sortir un enfant mineur. L’argent a été finalement remis à Lamine Diagne qui s’en est chargé. «Pourquoi avez-vous fait ça ? Vous êtes parti à la retraite, on vous reprend à la Cour d’appel et vous vous comportez de la sorte, pourquoi ? », a demandé le Procureur à Lamine Diagne ; ce dernier, qui baisse la tête pendant un temps, finit par dire au Procureur qu’il n’a pas de salaire à la Cour d’appel. «Mais, ce n’est pas une excuse», rétorque le représentant du parquet. Mais, Lamine Diagne n’avait plus aucune autre réponse à lui donner. Le parquetier sermonne alors les prévenus, notamment Lamine Diagne et Abibatou Gaye qui travaillent à la Cour d’appel, avant de repasser la parole au juge.
La défense s’attaque au fonctionnement du palais de justice
Pour la défense, le Procureur a été trop sévère en demandant la condamnation des prévenus sur des faits légers. Selon les conseils de Abibatou Gaye, on ne peut pas faire de corrélation entre l’argent reçu et le service rendu. Il s’agit juste d’un cadeau, selon eux. Me Ousseynou Gaye a fait le procès de l’administration sénégalaise en général et du fonctionnement du palais de justice en particulier. « Il y a trop d’émotion dans cette affaire. Le véritable problème, c’est que le Procureur général a signé des résultats d’audience sans vérifier, par la confiance qu’il avait en Lamine Diagne, mais la confiance n’exclut pas le contrôle», plaide-t-il. Et de poursuivre : «Lamine Diagne est à la Cour d’appel depuis 8 ans et il travaille comme bénévole à des niveaux de responsabilité extraordinaires. Comment peut-on confier à cette personne des dossiers ? Il y a un dysfonctionnement du Tribunal qui est mis en cause. Je crois qu’il faut poser le doigt sur les véritables problèmes, mais ne pas se limiter à condamner». Me Gaye a, par la suite, demandé la relaxe de Abibatou Gaye. Les avocats de Lamine Diagne et Cie ont sollicité la clémence du Tribunal. Me Youssoupha Camara a précisé au Tribunal que Lamine Diagne n’est pas un fonctionnaire de l’Etat et que la peine de 10 ans de prison ne correspond pas à la peine prévue par la loi pour son cas. Le verdict sera rendu le 8 mai prochain.
Alassane DRAME