PROPOSITION DE LOI SUR LA CENTRALISATION FONCIERE AUTOUR DE L’ANAT : 13 acteurs de la gouvernance et de la gestion foncière portent la réplique au député Amadou Ba de Pastef




 
 
 
Les jeunes acteurs de la gouvernance économique et foncière ont rejeté la proposition de loi du député Amadou Ba visant à centraliser la gestion foncière autour de l'Anat. Ces derniers théorisent une réforme structurelle cohérente pour corriger les dysfonctionnements. D’autant plus que ces abus ne sont pas uniquement imputables aux collectivités locales mais à un système de gouvernance foncière. Sur le plan juridique, le collectif alerte sur une telle décision qui pourrait être contestée devant les juridictions.
 
 
 
Ils ont la passion commune de la gouvernance et de la gestion foncière et ils sont expert, consultant, juriste, enseignant, contrôleur des impôts et des domaines, entre autres. Ils sont au nombre de 13, regroupés au sein de « Jeunes acteurs de la gouvernance économique et foncière au Sénégal (Jagef-Sen) à avoir signé une tribune pour porter la réplique à la proposition de loi portée par le député  de Pastef Amadou Ba, visant à centraliser la gestion foncière autour de l’Agence nationale de l’aménagement du territoire (Anat) et à suspendre les opérations foncières des collectivités territoriales jusqu’aux élections locales de 2027. Selon ces jeunes acteurs, cette initiative suscite de vives inquiétudes sur l’avenir de la gouvernance foncière au Sénégal.
 
Réformer au lieu de recentraliser la gestion foncière
 
De l’avis des jeunes acteurs, le foncier est un enjeu sensible, complexe et profondément ancré dans l’histoire, la culture et l’économie des peuples. « Au-delà du cadre juridique, il revêt une dimension sociale et économique incontournable. La loi n°64-46 du 17 juin 1964 relative au Domaine national, bien que perfectible, repose sur un principe fondamental : la gestion foncière doit être ancrée dans une approche décentralisée, impliquant les collectivités locales selon le principe de subsidiarité. L’objectif initial du législateur était d’optimiser l’utilisation des terres en confiant leur gestion aux autorités locales, censées être plus proches des besoins des populations », rappelle le collectif qui reconnaît néanmoins des lacunes dans l’application de cette loi, notamment le manque de clarté dans son exécution et des abus dans l’affectation des terres. « Plutôt que de recentraliser la gestion foncière, une réforme structurelle s’impose pour corriger ces dysfonctionnements et renforcer les capacités des collectivités territoriales », préconise le collectif.
 
Si des abus existent, ils ne sont pas uniquement imputables aux Cl, mais à un système global de gouvernance foncière
 
En effet, ces acteurs sont persuadés que la centralisation foncière ne résoudra pas les abus et les conflits fonciers. D’autant plus qu’ils considèrent que l’Etat, à travers ses services déconcentrés et ses dispositifs de contrôle, est toujours présent, a toujours joué un rôle clé dans toutes les opérations foncières. Qu’il s’agisse des affectations et désaffectations des terres du domaine national ; des immatriculations foncières et les baux emphytéotiques ; les zones classées et les terres domaniales en zone urbaine. Tous ces actes relèvent de sa compétence. « Si des abus existent, ils ne sont donc pas uniquement imputables aux collectivités locales, mais bien à un système global de gouvernance foncière qui peine à garantir transparence et équité », fait remarquer le collectif, persuadé que la remise en cause des compétences des collectivités territoriales en matière foncière soulève de profondes inquiétudes quant à l’avenir de la décentralisation et du développement local.
 
De nombreux projets et investissements seront en péril
 
Ces inquiétudes, se désolent les signataires, ont pour noms  les risques d’un recul démocratique avec la suspension des prérogatives des collectivités locales en matière foncière ; un affaissement de l’autonomie locale ; un retour à une gestion opaque avec la centralisation du foncier au niveau de l’Anat qui risque d’accroître les spéculations et le favoritisme ; un frein au développement économique des territoires étant donné que l’accès à la terre est un levier crucial pour l’agriculture, l’habitat et l’investissement local. En effet, selon le collectif, geler les opérations foncières pendant plusieurs années, mettrait en péril de nombreux projets et investissements. Les acteurs en veulent pour preuve l’affaire Sedima contre les populations de Ndingler qui illustre les limites de la gouvernance foncière actuelle et le rôle ambigu de l’Anat.
 
La solution ne saurait résider dans une mesure radicale
 
Toutefois, face à ces risques, le collectif préconise d’aller vers une réforme foncière cohérente et inclusive. « Plutôt qu’une suspension brutale des opérations foncières, il est urgent d’engager une réforme concertée et structurée. Celle-ci devrait viser : une meilleure application des textes existants, en clarifiant les compétences des collectivités et de l’État ; un renforcement des capacités des collectivités territoriales, avec des moyens humains, techniques et financiers adaptés ; une modernisation des outils de gestion foncière ; une implication accrue des populations dans la prise de décision, pour garantir un aménagement du territoire plus équitable et inclusif ; une généralisation adéquate des documents de planification (Soas, Scadt, Sif, Cdi, etc.). « En tout état de cause, la solution ne saurait résider dans une mesure radicale de recentralisation, qui poserait à la fois un problème de légalité et d’opportunité », relèvent les acteurs.
 
Sur le plan juridique, une telle décision risquerait d’être contestée devant les juridictions compétentes
 
Poursuivant, le collectif de préciser que sur le plan juridique, suspendre les prérogatives foncières des collectivités territoriales reviendrait à violer les principes fondamentaux de la décentralisation, consacrés par la Constitution (article 102) et les lois en vigueur. « Une telle décision risquerait d’être contestée devant les juridictions compétentes, compromettant sa mise en œuvre et créant une insécurité juridique dommageable. D’un point de vue pratique, cette confiscation des compétences locales ne répondrait pas aux véritables défis de la gouvernance foncière. Au contraire, elle priverait les territoires de leur capacité à gérer les enjeux fonciers avec réactivité et proximité, tout en favorisant une administration plus bureaucratique, opaque et éloignée des réalités du terrain », avertit le collectif.
 
Une réforme réussie ne saurait se faire sans une véritable inclusion des collectivités territoriales
 
Par ailleurs, les acteurs ont exhorté le député de Pastef à repenser cette proposition de loi en concertation avec l’ensemble des acteurs du foncier. « Une réforme réussie ne saurait se faire sans une véritable inclusion des collectivités territoriales et une volonté politique forte afin d’assurer une gouvernance foncière plus transparente et efficace. Nous restons mobilisés pour une gestion foncière qui respecte les principes de décentralisation et qui sert réellement le développement du Sénégal », tranche le collectif. 
 
M. CISS
 
 
LES ECHOS

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