C’est du Sénégal que l’information est partie, mais c’est sans doute en Côte d’Ivoire qu’elle a plus fait jaser. «Les Échos» écrivait hier que l’ex-patronne de la mission diplomatique américaine au Sénégal, Harriet Elam-Thomas, avait accordé une interview dans laquelle elle a abordé des anecdotes croustillantes qu’elle a vécues lorsqu’elle était en poste à Dakar, mais aussi à Abidjan. Reprise par des médias ivoiriens, l’information a fait des vagues et pas des moindres au pays des éléphants, où les Ivoiriens connectés se sont lancés dans une véritable comparaison entre le Sénégal et la Côte d’Ivoire.
Dans son interview accordée à une revue diplomatique aux États-Unis, l’ancienne ambassadrice a beaucoup parlé de son passage au pays de la Téranga, sans doute son pays de cœur sur le continent noir. En illustre le titre de son ouvrage écrit sur son parcours de diplomate et publié en 2017, «Diversifier la diplomatie : mon voyage de Roxbury à Dakar». Mais, aussi grande que puisse être son amour pour notre pays, la diplomate américaine n’y a pas passé toute sa carrière. Elle a été en poste dans plusieurs autres pays du continent tels que le Mali mais aussi et surtout la Côte d’Ivoire, où elle a servi de 1977 à 1979 en tant que chargée des affaires culturelles de l’ambassade.
Ce qui fait que dans l’interview, Harriet Elam-Thomas a également donné son point de vue sur les autres pays qu’elle a connus. Mais, arrivée à l’étape Côte d’Ivoire, elle n’a pas pu s’empêcher d’insister sur la rivalité légendaire qui a toujours existé et qui continue d’exister entre Dakar et Abidjan et qui date de l’ère de la dualité Léopold Senghor- Houphouët-Boigny.
En effet, Harriet Elam-Thomas s’est livrée à une comparaison entre ces deux pays, allant jusqu’à évoquer les relations entre la France et ses deux plus puissantes colonies d’Afrique. Mais également l’importance des deux pays pour les États-Unis. «[…] À l’époque, Abidjan était considérée comme l’un des meilleurs postes d’Afrique. Les États-Unis y avaient des intérêts significatifs, car l’économie était plus diversifiée que celle du Sénégal. Les Ivoiriens étaient des hommes d’affaires avisés. Parfois, je pensais qu’ils étaient plus Français que les Français. J’ai trouvé curieux qu’à 40 degrés, ils soient souvent vêtus de trois pièces. Ils ne portaient pas les vêtements traditionnels aussi souvent que les Sénégalais. Leurs personnalités étaient beaucoup plus complexes et je les trouvais plus difficiles à lire que les Sénégalais».
Sur les relations entre la France et ses deux plus puissantes anciennes colonies d’Afrique de l’Ouest, l’ex diplomate révèle que Paris respectait plus Abidjan que Dakar. À ce propos, elle a révélé que les Français ont lourdement investi en Côte d’Ivoire pour bénéficier d’une économie diversifiée. «Le Président ivoirien Houphouët-Boigny était un médecin et non un homme politique. Contrairement à Léopold Senghor, il n’était ni un poète ni un intellectuel. Les Français respectaient plus Houphouët-Boigny. La diversité des origines de la population ivoirienne explique peut-être pourquoi elle semble s’attacher davantage au Français que le Sénégalais», tente-t-elle de comprendre.
Les Ivoiriens se félicitent et s’abbattent sur le Sénégal
Des déclarations que les Ivoiriens ont diversement apprécié. Constat : ce qui était parti pour être un témoignage de l’histoire s’est transformé en une comparaison des pays, notamment de leurs performances économiques. «Ça, ce n'est pas nouveau. Quiconque s’intéresse à la fameuse France-Afrique, ou à la géopolitique de la sous-région, sait qu'il y a toujours eu une rivalité entre Dakar et Abidjan. Et je crois que c'est Abidjan qui a remporté la partie à partir des "années miracles" ivoiriennes. Et puis, les deux pays n'ont pas les mêmes potentiels économiques», commente cet internaute.
Un autre internaute déplore le terme de «Gnak» par lequel les Sénégalais désignent certains Africains. «On naît ivoirien et on peut le devenir. Même si les deuxièmes nous appellent "Gnak" parce qu'ils n'ont pas de forêt, on est toujours devant. Il ne pourrait en être autrement», raille-t-il. Et un autre de renchérir en évoquant cette rivalité au plus haut niveau. «Cette rivalité existe depuis longtemps entre les deux "feus" : Houphouët et Léopold Senghor. Ce dernier se croyait plus intellectuel que Boigny qui s'exprimait lui aussi correctement, sans discours écrits très souvent».
Les «modérés…»
Plus virulent, celui-ci indique que le match entre le Sénégal et leur beau pays la Côte d’Ivoire est fini depuis belle lurette. «Malgré, la situation précaire que nous avons connue pendant une décennie, le Sénégal n'a jamais pu remplacer la Côte d’Ivoire ou la supplanter, en dépit de la stabilité politico-sociale dont ce pays a joui depuis virtuellement son indépendance. C'est en connaissance de cause que la France nous accordait plus de considération».
Et à côté des tous ces «nationalistes», il y a les plus modérés, à l’image de cet internaute qui a préféré évoquer l’histoire. «C'était une rivalité bien saine, Boigny aimait beaucoup le Sénégal mais était légèrement contre Senghor qui s'occupait de culture et de lettres et non des produits vivriers. Boigny ne cessait de donner un coup de main aux Sénégalais en demandant à Dakar des centaines de professeurs de mathématiques de sciences physiques, la dernière fois c’était en 78. Ils étaient 400 à regagner Abidjan pour une durée de cinq ans». Ou encore celui-là qui pense que tout ça, c’est du passé. «Les réalités ont changé. Les Sénégalais évoluent actuellement à grands pas. Et c'est tant mieux pour la multiplicité des pôles de développement dans la sous-région».
Sidy Djimby NDAO