Poursuivis pour participation à un attroupement non armé, les huit membres de la coalition «Idy 2019», qui ont été arrêtés la veille de la proclamation des résultats provisoires de l'élection présidentielle du dimanche 24 février 2019, ont comparu hier, avant d’être relaxés par le juge des flagrants délits de Dakar. L’occasion a été saisie par les avocats de la défense pour déverser leur bile sur le régime de Macky.
Libres, Abdourahmane Diallo, Amélie Ngom et Cie le sont, depuis hier, après avoir passé 10 jours en prison. Placés sous mandat dépôt le 1er mars dernier, à la veille de la proclamation des résultats provisoires de l'élection présidentielle du dimanche 24 février, les partisans de la coalition «Idy 2019» qui, après un point de presse dans le but de contester lesdits résultats, ont été dispersés sur la Vdn par les gendarmes avec des lacrymogènes avant d’être arrêtés aux alentours du siège de Bokk Gis-Gis. Participation à un attroupement non armé, c’est le délit visé par le procureur qui les a renvoyés devant le juge des flagrants délits. Parmi ces prévenus, 3 sont des femmes. Et durant leur interrogatoire, ils ont nié les faits à eux reprochés. Mais, ils ont unanimement reconnu avoir participé à la conférence de presse. Sur la question portant sur la sommation, tous les prévenus ont dégagé en touche. Jamais, selon eux, les forces de l’ordre ne les ont sommés de se disperser.
Me Ibrahima Diaw : «c'est une détention arbitraire. Dans ce pays, on joue avec la liberté des gens depuis plus de 7 ans»
Fort heureusement, pour eux, le procureur n’a pas requis de peine, s’en rapportant à la décision du tribunal, lorsqu'il a été invité à faire ses réquisitions. N’empêche, les avocats de la défense n’ont pu se retenir de déverser leur colère sur le régime. C’est Me Ibrahima Diaw qui a démarré : «la liberté d'une personne est sacrée et fondamentale. On arrête ces gens pour attroupement non armé et devant votre barre, le parquet requiert : ‘’je m'en rapporte’’. Il faut le dire, c'est une détention arbitraire. Dans ce pays, on joue avec la liberté des gens depuis plus de 7 ans maintenant. Ils n'ont en aucun cas reçu une sommation de la part des gendarmes. On joue trop avec la liberté des gens. On a constaté que de l'autre côté, on exige le respect des populations, alors qu'ils ne respectent pas les populations», s’insurge Me Diaw.
Me Abdoulaye Tall : «on emprisonne facilement les gens. J'ai peur, car notre démocratie est en train d'être agressée»
Me Aboubacry Barro d’enfoncer le clou : «certains professionnels de la justice ne savent pas ce qui se passe en prison. Ils doivent bénéficier d'une formation dans les maisons d'arrêt pour savoir réellement ce qui se passe là-bas». Il est suivi par son confrère Me Abdoulaye Tall, qui s'est inscrit dans le même sillage. «Nous sommes en face d'une non affaire. Je suis scandalisé, car j'ai l'impression qu'au Sénégal, on a tendance à jouer avec la liberté des gens. Ce qui est le plus sacré chez la personne. Au Sénégal, on emprisonne facilement les gens. J'ai peur pour le Sénégal, car notre démocratie est en train d'être agressée. Après avoir constaté qu'il n'y a pas de faits, je demande de rendre à ses braves gens leur dignité», a plaidé la robe noire.
Me Abdoulaye Sène : «la dictature de Macky Sall est une réalité. Nous sommes en face d'un président qui emprisonne les gens pour se maintenir au pouvoir»
Tendre, Me Abdoulaye Sène ne l’a pas du tout été envers le régime et le chef de l’Etat. Il martèle : «la dictature de Macky Sall est une réalité. Nous sommes en face d'un président qui emprisonne les gens pour se maintenir au pouvoir. Nous ne sommes plus une démocratie. Il sait que le peuple est peureux, c'est la raison pour laquelle il emprisonne les gens à tout-va».
La forte émotion quand Me Ousseynou Ngom devait plaider pour sa sœur Amélie Ngom
L’émotion s’est un peu mêlée à la rancœur, lorsque Me Ousseynou Ngom s’est levé pour faire sa plaidoirie. En fait, l’avocat est le frère de la dame Amélie Ngom. «Je ne suis pas gagné par l’émotion», s’est-il pourtant empressé de dire, «et même si cela m’habitait, je la vaincrais pour remplir mon serment», a-t-il ajouté. Me Ngom n’est pas allé loin pour défendre sa sœur ; il a puisé dans le code pénal, l’article 92 précisément, qui souligne qu’en matière d’attroupement et participation à un attroupement non armé, le gouverneur doit être présent en même temps que le préfet et le commissaire de police ou le commandant de la gendarmerie doit lancer par mégaphone deux sommations, demandant aux manifestants de se disperser, avant de les avertir qu’il va faire usage de la force. «Et rien de tout cela n’a été fait», peste la robe noire.
Au final, les prévenus ont tous été renvoyés des fins des poursuites sans peine ni dépens. En clair, le juge a estimé qu’il n’y a même pas matière à poursuivre.
Fatou D. DIONE