Les résultats provisoires sont finalement tombés samedi et comme prévu, le président sortant Alpha Condé a été reconduit dès le premier tour, avec 59,49%. Comme prévu aussi, la contestation a gagné en ampleur. Cellou Dalein Diallo et ses alliés ont appelé à la poursuite des manifestations malgré la répression sanglante et sans se faire d’illusion, ils annoncent un recours auprès de la Cour constitutionnelle. Alors que des membres de la Ceni sont signataires d’un document relevant les impairs qui rendent les résultats de l’élection présidentielle peu crédibles. Sous la férule du vice-président de la Ceni, ces commissaires demandent «la reprise intégrale de cette élection comme cela s'est fait au Malawi, ou tout au moins la reprise dans certaines circonscriptions où il y a un sérieux doute émis sur la sincérité des résultats». Une mission conjointe internationale est également annoncée dans le pays.
D’ici à la proclamation définitive par la Cour constitutionnelle des résultats de l’élection présidentielle en Guinée, provisoirement remportées par le Pr Alpha Condé avec plus de 59% des suffrages, le décompte macabre des victimes des violences postélectorales va se poursuivre. Il faut toutefois retenir que la procureure de la Cour pénale internationale (Cpi), Fatou Bensouda, a mis en garde vendredi les acteurs politiques en Guinée, appelant à la fin des violences. « Je tiens à rappeler que quiconque commet, ordonne, incite, encourage et contribue» à des crimes tels que définis par les statuts de la Cpi «peut être poursuivi par les tribunaux guinéens ou par la Cpi», a-t-elle déclaré. Depuis Dakar, l’Unicef s’est aussi alarmé des morts d’enfants dans les violences : «l'Unicef exhorte toutes les parties à respecter et à protéger le droit à la vie de toutes les personnes, et à prendre des mesures de précaution pour assurer la sécurité et la protection des enfants. Aucune vie d’enfant ne devrait jamais être perdue à cause de quelque forme de violence que ce soit».
La Cpi et l’Unicef menacent les responsables de tueries
Sur le front des manifestations, le Fndc (Front national pour la défense de la constitution) projette de descendre ce lundi dans la rue pour le triomphe de la justice. Le leader de l’Ufdg, Cellou Dalein Diallo, qui voulait tenir une conférence de presse, hier, a été empêché de recevoir les journalistes et n’a pu non plus sortir pour aller à leur rencontre. Néanmoins, on sait que dès l’annonce des résultats le donnant perdant, Cellou Dalein Diallo a décidé de déposer un recours à la Cour constitutionnelle, sans se faire trop d’illusion. «Nous sommes en train de constituer des dossiers, très difficilement puisque nos locaux sont occupés. On n’a pas accès à nos documents, mais nous allons quand même saisir la Cour constitutionnelle, sans trop nous faire d’illusions », a-t-il déclaré à l’Afp.
«Ces anomalies affectent la sincérité des résultats provisoires proclamés par la Ceni»
Mais l’événement majeur de ce week-end, c’est la sortie de ce document signé par le vice-président de la Ceni, El Hadji Mamadou Bano Sow, au nom d’un certain nombre de commissaires. Ce document fait le listing des impairs relevés durant tout le processus électoral en Guinée, avant le scrutin, pendant le scrutin, lors du dépouillement, de la remontée des résultats, leur centralisation, jusqu’à leur totalisation à la Ceni. «Ces anomalies affectent la sincérité des résultats provisoires proclamés par la Ceni ce samedi 24 octobre 2020.Les causes sont nombreuses et profondes ; elles se retrouvent à chaque étape du processus. Et à chaque fois, nous avons exprimé, certains collègues et moi, notre préoccupation en plénière et dans des déclarations», a dit M. Sow.
104 bureaux de vote, quelque 52.000 voix non pris en compte à Boké
Dans les griefs soulevés, on peut citer la non prise en compte d’un nombre important de bureaux de vote dans certaines préfectures. «La préfecture de Boké est en tête de cette liste avec 104 bureaux de votes non pris en compte ; en prenant une moyenne de 500 électeurs par bureau de vote, cela fait 52.000 électeurs dont le vote a été annulé par la non prise en charge de leur bureau», indiquent ces commissaires. Ils poursuivent : «la région de Kankan n’a que 6 bureaux de votes écartés sur 3241 bureaux existants, soit un pourcentage de moins de 0.2%, un redoutable exploit qui ne peut laisser dubitatif ; est-ce un hasard ? A contrario, la région de Boké est en tête du peloton des bureaux écartés». La remarque que les commissaires se gardent de faire, c’est que Boké est favorable à Cellou alors que Kankan vote Condé.
Le taux de participation également prête à supputation, surtout partout où il frise les 90%. Mais le summum, c’est quand il atteint…100,14% à Faranah. «Il est fort probable que les taux de participation aient été frauduleusement gonflés pour favoriser un parti candidat», notent les commissaires. A en croire toujours ces derniers, «ces taux de participation de près de 100% sont également en déphasage avec les taux de distribution des cartes d’électeurs : Comment peut-on atteindre 100% de taux de participation quand le taux de distribution des cartes d’électeurs n’atteint pas 100% ?»
Une participation de…100,14% à Faranah
En conclusion, le vice-président de la Ceni, El Hadji Mamadou Bano Sow et les autres commissaires relèvent que «tous les dysfonctionnements signalés prouvent que l'élection présidentielle du 18 octobre est impactée par les anomalies qui ne garantissent pas des résultats fiables et sincères».
Alors que faut-il attendre de la mission conjointe internationale dont la venue est annoncée à Conakry. Composée des émissaires de la Cedeao, des Nations-Unies, de l'Union Africaine, elle devait arriver ce dimanche 25 octobre à Conakry, de sources proches du ministère des affaires étrangères. Devant être reçue ce lundi par le ministre guinéen des Affaires étrangères, on devrait y compter le président de la Commission de la Cedeao Jean-Claude Kassi Brou, Mohamed Ibn Chambas pour les Nations-Unies, les commissaires aux affaires politiques de l’Union africaine et de la Cedeao, Cessouma Minata Samate et le général Francis Béhanzin. Ces émissaires, dont les organisations sont restées aphones sur le processus qui a conduit à la situation désastreuse dans laquelle se débat la Guinée, ne seront pas ceux qui diront la vérité aux autorités de Conakry, ni n’indexeront leur responsabilité dans les tueries qui ont jalonné ces derniers jours.
Mansour KANE