Dans cette affaire de la caisse d’avance de la marie de Dakar, les deux inspecteurs du Trésor Mamadou Oumar Bocoum et Ibrahima Touré ont été entendus hier. Receveur-percepteur de la mairie de Dakar de 2005 à 2015, Mamadou Oumar Bocoum a été le premier à être appelé à la barre pour s’expliquer. «Je conteste toutes les accusations», répond le receveur au juge. L’ancien receveur de la ville de Dakar, comme s’il avait toujours attendu ce moment-là, de poursuivre : «je ne devais pas être ici, parce que je n’ai fait que respecter les textes. J’ai respecté toutes les instructions. Dans une caisse d’avance, on n’a que le mandat, les justificatifs viennent après et les justificatifs ont été produits». Interpellé sur les déclarations de Mbaye Touré selon lesquelles les comptables publics ont le devoir de faire un contrôle sur pièces et sur place, Mamadou Oumar Bocoum a dégagé en touche. «Mbaye Touré s’est trompé. L’article 34 du règlement général sur la comptabilité publique dit que les seuls contrôles que le comptable public doit faire portent sur la qualité de l’ordonnateur et la validité de la créance. Sur pièces et sur place veut tout simplement dire une vérification formelle des pièces et un contrôle du régisseur sur place. Je ne vérifie pas l’exactitude de l’opération», argue-t-il.
Bocoum : «au moment où je payais, en 2011, les pièces étaient valables, aujourd’hui, 7 ans après, elles ne sont plus valables»
Sur l’association de malfaiteurs, l’ex-receveur jure sur tous les saints n’avoir jamais eu de contact, dans le cadre d’une caisse d’avance, avec Khalifa Sall. Un tout petit peu irrité, il poursuit : «je ne comprends pas, au moment où je payais en 2011, les pièces étaient valables et 7 ans après, on me dit qu’elles ne sont plus valables. Et je n’ai fait que respecter la réglementation sous toutes ses formes». Sur la nature de la caisse, Mamadou Oumar Bocoum s’est voulu formel : «j’ai payé une caisse d’avance». Par rapport au paiement par numéraires, à la récurrence des mêmes pièces et du même Gie, le percepteur se défend, arguant que la loi n’exclut pas de payer en numéraires pour les caisses d’avance. Et s’agissant du Gie et de la commande de riz et mil à chaque fois, il soutient que son rôle n’est pas d’apprécier l’opportunité. Le juge lui demande alors si la récurrence des types de dépenses n’a pas éveillé des soupçons à son niveau, durant 10 ans qu’il a travaillé avec la mairie, mais le percepteur persiste pour dire qu’il ne gère pas les opportunités. «Mon problème ne se trouve pas dans la fréquence ou la régularité des produits. Moi je remets les fonds et j’attends les justificatifs formels, c’est-à-dire voir si c’est d’égal montant avec l’argent décaissé».
Khalifa Sall persiste sur les fonds politiques
Khalifa Sall a par la suite été appelé pour une confrontation. Le maire de Dakar réitère ses propos. Il soutient que si on lui donne des numéraires, c’est parce qu’il s’agit de fonds politiques et que c’est ce qu’on lui a dit lorsqu’il est arrivé à la mairie. «Qu’est-ce qui fait qu’on me donne des numéraires ? C’est pourquoi j’aurai voulu qu’Abdoulaye Diop, l’ancien ministre d’Etat, soit là pour expliquer le fonctionnement de cette caisse et pourquoi l’Etat a décidé d’y injecter de l’argent».
Mbaye Touré dément et enfonce Bocoum
Le président Malick Lamotte a ainsi appelé Mbaye Touré à la barre pour une autre confrontation avec Mamadou Oumar Bocoum. Le directeur administratif et financier est invité à revenir sur le contrôle des inspecteurs. «Je fais observer d’abord qu’il y a des mandats sur lesquels il n’y a pas la signature du régisseur que je suis et pourtant, il a payé. Je pouvais dire que je n’ai jamais reçu cet argent et il ne pourrait pas le justifier», remarque-t-il. Le Daf de poursuivre, formel : «l’article 30 du décret 2011 est clair, il faut une vérification sur pièces et sur place des opérations et de la comptabilité». Mamadou Oumar Bocoum, pour sa part, campe sur sa position sur le contrôle et déclare que la signature du régisseur, «c’est peut-être une omission du caissier». Mais pour Mbaye Touré, il n’y a pas de caissier, c’est entre lui et Oumar Bocoum et le paiement se faisait dans le bureau ce dernier.
Révélations de Mbaye Touré
Mbaye Touré lâche alors la bombe, soutenant qu’il y a même des fois où Mamadou Oumar Bocoum remettait directement l’argent à Khalifa Sall. Ce qui a laissé tout le monde stupéfait et le président Lamotte de demander à Bocoum si c’était vrai. « Non ! La loi me l’interdit», répond-il sèchement.
Khalifa Sall : «Je n’ai pas ma place ici. Je suis dégoûté. Je préfère me suicider. Yëf yi yëfi gor la (c’est une question de dignité)»
Khalifa Sall est alors invité à venir à la barre. «Cette scène est très pénible Monsieur le Président», dit-il d’emblée en venant se placer entre les deux prévenus. Malick Lamotte insiste pour qu’il éclaire le Tribunal sur ce point. «Je n’ai pas ma place ici. Je suis dégoûté. Ils sont ensembles depuis des années et ils n’osent pas dire la vérité. Je préfère me suicider. Yëf yi yëfi gor la (c’est une question de dignité). Ils étaient avec moi tout ce temps», indique le maire. Et, les regardant, tour à tour, il ajoute : «c’est ce que vous voulez? Vous voulez que je vous arbitre?», les interroge encore Khalifa Sall avant de reprendre sa place. Constatant que le maire de Dakar ne veut pas les départager, le juge passe sur Ibrahima Touré.
Mbaye Touré : «on a discuté avec Ibrahima Touré de la caisse dans son bureau, je lui ai dit que c’est des fonds politiques»
Le successeur de Mamadou Oumar Bocoum a confirmé ce dernier sur la régularité de leur paiement. Il a aussi assuré avoir payé une caisse d’avance. Sur les déclarations de Mbaye Touré selon lesquelles il avait refusé de payer avant d’avoir l’avis de ses supérieurs, il dégage en touche : «je n’ai pas demandé l’avis de la hiérarchie. J’ai juste pris le temps de regarder et de comprendre». Ibrahima Touré d’ajouter : «moi je n’ai jamais versé de l’argent au maire ; J’ai payé une caisse. Je n’ai jamais été au courant que c’était des fonds politiques». Mbaye Touré est de nouveau convoqué pour une confrontation. Il lâche une deuxième bombe, en soutenant : «on a discuté de la caisse avec Ibrahima Touré dans son bureau. Parce que la première fois, quand il a pris service, il ne voulait pas payer. Si vous regardez bien entre le bordereau de transmission et la date de paiement, il y a un décalage». Le président lui demande alors de revenir sur les termes de leur conversation. «Je lui ai juste dit que c’était des fonds politiques et c’est après qu’il a payé, parce que, d’habitude, quand on m’appelle, on me paie le même jour», explique Mbaye Touré. Ibrahima Touré n’a pas eu le temps de s’expliquer sur cela. L’heure de la suspension était arrivée. Les débats reprennent aujourd’hui.
Alassane DRAME