Avec le nouveau règlement Fifa, les clubs ont la possibilité de bloquer leurs joueurs si la période d’isolement imposée par les autorités à leur retour de sélection excède 5 jours, ce qui risque de handicaper sérieusement les sélections africaines, particulièrement le Sénégal qui risque de ne pas avoir certains de ses ténors, Mané, Gana, Koulibaly ou encore de nouveaux visages comme Diallo (PSG) ou Sarr (Metz) pour les deux dernières journées des éliminatoires de la Can 2021 prévues fin mars. Le professeur Abdoulaye Sakho universitaire, agrégé en Droit, spécialiste du Droit du sport et du Droit économique, pense qu’à situation nouvelle, il faut une adaptation. Mais, selon lui, le plus important serait «une décision forte de la Caf unie qui impose la libération sans aucune exception».
«Les Echos» : Professeur, certaines nations comme le Sénégal, ne pourront peut-être pas avoir en sélection leurs joueurs expatriés pour les deux dernières journées des qualifications à la Can 2022. A cause du nouveau règlement de la Fifa, les clubs peuvent refuser de libérer leurs pensionnaires. Quelle interprétation faites-vous de la situation en tant que spécialiste du droit des sports ?
Professeur Abdoulaye Sakho : La pandémie est une situation anormale. Il me semble tout à fait normal que tous les secteurs d’activités s’adaptent et prennent des mesures d’exception. Les États ont pris des lois pour instaurer des états d’urgence et autres. C’est donc tout à fait normal que le monde sportif s’adapte. En conséquence, les employeurs des sportifs doivent les protéger pour qu’ils puissent continuer ce pourquoi ils sont payés. Or les délais d’isolement imposés par certains États européens pourraient être préjudiciables aux clubs qui ne pourront pas utiliser leurs salariés. Seulement, les pays d’origine ou de nationalité des joueurs ont aussi besoin d’eux. Nous avons ainsi deux droits légitimes en confrontation et il me paraît difficile de faire prévaloir l’un sur l’autre. La solution dépendra alors du rapport de force ! Je ne crois pas que le football africain et ses dirigeants soient en position d’imposer quoi que ce soit aux clubs européens. Qu’on ne fasse pas l’erreur de croire que le Sénégal tout seul pourra régler la question. J’espère que nos dirigeants seront suffisamment intelligents pour ne pas tenter le rapport de force qui ne sera préjudiciable qu’aux joueurs qui n’ont que leur boulot pour faire vivre leurs proches.
Est-ce que la période d'isolement est un motif valable pour retenir les joueurs ?
La période d’isolement, puisqu’elle résulte d’une décision des médecins, ne doit même pas être discutée. Elle peut effectivement justifier les mesures prises par des clubs qui ne veulent pas être affaiblis en cette période de fin de championnat et de matchs de Ligue des champions. Les clubs sont des clubs professionnels qui fonctionnent avec une logique économique sans se préoccuper de faire plaisir aux pays africains.
Dans le cas des Sénégalais, que pensez-vous que le coach Aliou Cissé doit faire pour combler ce gap ?
Heureusement que je ne suis pas à sa place. Sa chance c’est d’avoir fait le job avant la fin des matchs de qualification. Je ne suis pas un technicien ou entraîneur pour savoir ce qu’il va faire. Je crois qu’il fera le travail avec ceux qui viendront répondre à la convocation!
Que risquerait un joueur qui, malgré l'interdiction, décidait de rejoindre la sélection ?
Si la mesure d’interdiction de se déplacer est considérée comme justifiée en droit, le joueur qui désobéit pourrait risquer des sanctions de la part de son club. Mais je crois qu’il est révolu ce temps de bras de fer entre joueurs et clubs. Des solutions seront trouvées. Pour finir, j’en appelle aux nouveaux dirigeants de la Caf. C’est une question qui les interpelle et c’est à eux de trouver les réponses mais pas aux fédérations isolées. Une décision forte de la Caf unie qui impose la libération sans aucune exception ferait que le critère de la nationalité serait prioritaire face au critère du salaire. Je crois que le football reste malgré tout un jeu et la nouvelle Caf se doit de se battre aussi pour cela. Il n’y a pas qu’une logique économique dans ces compétitions. Encore une fois heureusement pour nous que nous sommes qualifiés et que nos techniciens ne sont pas des va-t’en guerre. Ils sont intelligents.
«Je ne crois pas que le football africain et ses dirigeants soient en position d’imposer quoi que ce soit aux clubs européens»
Aliou Cissé «sa chance c’est d’avoir fait le job avant la fin des matchs de qualification»
«Il est révolu ce temps de bras de fer entre joueurs et clubs»