L’ancien Premier président de la Cour suprême est revenu au-devant de la scène. Mamadou Badio Camara est nommé, «tout naturellement», diraient certains juristes, à la tête du Conseil constitutionnel. C’est avant-hier que le décret de nomination a été pris. L’ancien Premier président de la Haute juridiction qui avait essuyé toutes les accusations ces dernières années avec les dossiers politico-judiciaires, notamment les affaires Karim Wade et Khalifa Sall, redevient la cible de toutes les critiques, surtout avec l’élection présidentielle qui se profile à l’horizon. Sa légitimité fait certes l’objet de suspicions, mais on ne peut occulter ses compétences en tant qu’éminent juriste qui présente sinon le meilleur profil, tout au moins le profil requis pour remplacer Pape Oumar Sakho. Il a un background très riche pour avoir obtenu son diplôme de l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (Enam), section magistrature en 1977.
Le Conseil constitutionnel : sa destination naturelle
Le poste de Président du Conseil constitutionnel est «la destination naturelle de Mamadou Badio Camara», nous a confié un haut magistrat. Pour notre interlocuteur, il n’y a pas à se scandaliser et à chercher des pouxà l’ancien Premier président de la Cour suprême ou même à avoir des suspicions. «Si l’on quitte la Cour suprême, surtout en tant que Premier président, tout le monde s’attend à ce que l’on rejoigne le Conseil constitutionnel. Dans 99% des cas, cela se passe comme ça», nous confie notre interlocuteur. Avant-hier, en tout cas, le président de la République a pris un décret nommant Mamadou Badio Camara président du Conseil constitutionnel. Suffisant pour susciter des suspicions d’un deal pour une validation d’une éventuelle candidature de Macky Sall, à l’élection présidentielle de 2024. Les critiques, les suspicions soulevées sont-elles légitimes, sont-elles portées à tort ou à raison ?Si notre interlocuteur magistrat estime qu’il s’agit de «critiques sans fondement», l’opinion, surtout l’opinion politique pense le contraire. Déjà, dans les réseaux sociaux, c’est devenu l’actualité avec les évènements qui se sont déroulés durant ces dernières années, notamment avec les dossiers politico-judiciaires dont celui de Karim Wade et de Khalifa Sall.
Des suspicions légitimes ?
L’ancien Premier président de la haute juridiction a d’ailleurs été directement indexé par le fils de l’ancien président de la République. «Installé par Macky Sall à la tête d’un petit clan de magistrats aux ordres qui ont transformé la justice en annexe du pouvoir exécutif, M Badio Camara a été maintenu à son poste alors qu’il devait partir à la retraite le 9 avril 2017, dans le seul but d’aider Macky Sall à se débarrasser des candidats qui font obstacle à sa tentative d’être réélu à la tête du Sénégal», écrivait Karim Wade en 2018. C’est quasiment le même son de cloche avec les partisans de Khalifa Sall qui ont tiré sur lui à boulets rouges. L’affaire Nafy Ngom Keïta est encore fraiche dans les mémoires. L’ancienne présidente de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) n’avait pas digéré que l’ancien président de la Cour suprême n’ait pas accepté defaire sa déclaration de patrimoine. Et la réaction du président de la République qui lui avait dit de le laisser tranquille, n’était pas à son goût. Autant de choses qui donnent une certaine légitimité aux suspicions portées sur sa nomination. Macky Sall aurait-il mieux fait de trouver quelqu’un d’autre qui présente le profil ? Mamadou Badio Camara aurait-il mieux fait de ne pas accepter cette nomination, pour mettre tout le monde à l’aise ?
Mamadou Badio Camara : un excellent profil
En tout cas, pour ce qui est de la compétence, le nouveau président du Conseil constitutionnel présente le profil requis. C’est une éminence grise qui a tout le bagage nécessaire. «Très pondéré et un excellent magistrat», nous souffle notre interlocuteur. De 1977 à 1984, il a été Substitut du procureur, Premier substitut à Dakar avant devenir procureur de la République à Kaolack et à Ziguinchor entre 1984 et 1991. Il revient à Dakar pour être nommé Substitut général à la Cour d’appel jusqu’en 1993 date à laquelle il a été nommé procureur adjoint à Dakar jusqu’en 1998. De là, il part à la Cour de cassation, en tant que conseiller puis secrétaire général jusqu’en 2008. Il y a eu ensuite la fusion du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation qui deviennent la Cour suprême. En 2008, Mamadou Badio Camara rejoint la Cour suprême comme secrétaire général et président de Chambre jusqu’en 2013 puis il devient Procureur général avant d’occuper le poste de Premier président de la haute juridiction en 2015. De 1999 à 2000 il a été expert des Nations-Unies, membre de la commission d’enquête sur la situation des prisonniers politiques au Burundi ; 2006-2009 expert del’Organisation internationale de la Francophonie (Oif), Projet justice Haïti, ensuite vice-président du Comité des Nations-Unies contre les disparitions forcées jusqu’en 2015. Enfin il a été vice-président de l’Association des hautes juridictions de cassation des pays ayant en partage l’usage du français (Ahjucaf). C’est dire.
Alassane DRAME