Le juge de la chambre correctionnelle de Dakar, Maguette Diop, a ordonné hier la mise en liberté provisoire du rappeur Ngaka Blindé et de l’étudiant Khadim Thiam, qui y comparaissaient respectivement pour contrefaçon de billets de banque ayant cours légal sur le territoire national et complicité de ce chef. Lors des plaidoiries, l’Agent judiciaire de l’État, Cheikhna Oumar Hanne, a réclamé 50 millions à titre de dommages, avant que Me Aboubacry de la défense l’accuse de faire sombrer le pays.
Devant la chambre correctionnelle de Dakar où Baba Ndiaye alias Ngaka Blindé et Khadim Thiam ont été renvoyés hier respectivement pour contrefaçon de billets de banque ayant cours légal sur le territoire national et complicité de ce chef, il a fallu plus de 2 tours d’horloge avant que le juge Maguette Diop n’ordonne leur mise en liberté provisoire. C’est dans une salle pleine à craquer que s’est déroulé ce procès, sans compter leurs autres inconditionnels qui n’ont pu franchir le seuil de ladite pièce pour assister à l’interrogatoire des inculpés. Détenu pendant presque 1 an (depuis le 17 décembre 2017) à la maison d’arrêt de Rebeuss, le rappeur Ngaka Blindé, vêtu d'un boubou traditionnel vert-menthe, affichait une bonne mine depuis le box des accusés où il était assis. Il ne semblait pas subir la rigueur de la détention, parce qu’il était joufflu et a pris du poids.Son coinculpé Khadim Thiam, fourré dans une tenue traditionnelle noire, semblait inquiet et ne cessait de s'essuyer le visage à l’aide d’un mouchoir durant tout le temps qu’il est resté assis à coté de Ngaka.
Une salle comble, Ngaka en très grande forme
A l’entame de l’interrogatoire d’audience, pour répondre sur les faits qui lui sont reprochés, Ngaka Blindé a expliqué au juge qu’il était plus à l’aise en wolof. Sur ledit «projet musical» il dit : «j’avais fait un son dont les paroles étaient en français et dans lequel on parle d'argent, de maison, de femme et de maman. Ainsi, avec mon staff, nous avons discuté sur le synopsis. Avant d’appeler Baba Thiam à qui j'ai expliqué le projet. Je lui ai demandé si je pouvais, à partir des feuilles blanches A4, confectionner les billets. Il m'a dit oui. Mais, le réalisateur Young Fresh nous a dit d'attendre la caméra qu'il devait acquérir. On était une trentaine de personnes qui devaient tourner le clip dans une maison à Saly. C’est Sanekh qui devait jouer le rôle du papa, Awa Ndiaye celui de la maman etc. J'avais aussi envisagé de prendre Kouthia et Horacio (animateur de l’émission tabalou Ya Ngoné) qui devaient aussi y figurer», a-t-il déclaré.
Avant de poursuivre sur lesdits billets «incriminés». «Après que Khadim a confectionné les billets. Il me les a remis et à mon tour, je les ai mis dans une enveloppe que j’ai déposée sur le tableau de bord de mon véhicule. C’est là que les agents ont trouvé les billets. Mais, je ne savais pas que c'était une infraction. Et je leur avais expliqué que j’en avais besoin pour le tournage de mon clip à Saly, avant qu’ils ne nous déferrent», martèle-t-il, en précisant n’avoir jamais envoyé de l’argent via Wari à une quelconque dame, qui s’était plainte à son encontre au commissariat des Parcelles Assainies.
Le juge de le relancer : «ça fait un montant de 5 millions. Pour faire cela, il fallait prévenir la banque centrale de ce projet-là et obtenir une autorisation. Mais ça pose problème pour un tel montant», questionne Maguette Diop. Ngaka de rétorquer : «à mon avis, il s'agissait de feuilles blanches et je pensais que cela ne nécessitait pas d’autorisation», peste-t-il.
Ngaka Blindé craque et fond en larmes
Alors qu’il s’est bien comporté durant toute son incarcération, Ngaka Blindé craque et fond en larmes, lorsque son avocat, Me Barro, lui a demandé les enseignements qu'il a tirés de son séjour carcéral. Interrogé, l’étudiant en master de sciences économiques, Khadim Thiam, a reconnu avoir téléchargé le billet de 10.000 F sur Google, avant de l’imprimer avec sa machine et de les photocopier suite à la demande de Ngaka Blindé. Selon lui, il s’agissait de faire des simulations avec.
L’agent judiciaire de l’Etat réclame à Ngaka Blindé 50 millions
A sa suite, l’Agent judiciaire de l’État, Cheikhna Oumar Hanne, a réclamé 50 millions F à titre de dommages après avoir plaidé. «Je suis là pour la défense des intérêts de l’Etat du Sénégal, je suis-là parce que l'ordre public a été troublé, parce que les lois ne sont pas respectées. Nous sommes tous des Sénégalais et les dangers qui guettent le Sénégal, c’est qu'on prenne à la légère certaines infractions. Nous sommes un pays sous-développé, il faut anéantir le faux monnayage. Interpol a été créée pour lutter contre ce fléau. Je n'ai rien contre les artistes et contre Ngaka, mais si on n'y prend garde, le Sénégal va couler. Au-delà de la perte subie par le petit boutiquier, les conséquences sont graves, parce qu'aucune entreprise étrangère ne viendra investir au Sénégal. Aussi, il entraine une inflation dans le marché. Par ailleurs, il y a un lien étroit avec les réseaux de criminalité qui utilisent cette fausse monnaie pour le trafic de drogue et le terrorisme. C'est un crime. Les faits sont établis et il a été interpellé avec plus de 5 millions. Ils tombent sous le coup de la loi. Il faut qu'on essaie de maîtriser nos émotions. Le Sénégal est en train de sombrer, parce que les gens ne respectent pas les lois. Il y a de l'anarchie. Un artiste qu’on prend avec plus de 5 millions en faux billets, moi je n'y crois pas. Khadim est un étudiant en économie et il l'a fait en connaissance de cause. Je sollicite de les condamner à telle peine que requerra le parquet», lâche-t-il avant que le procureur Ismaila Diallo ne sollicite l’application de la loi.
Me Aboubacry Barro : «Combien de personnes ont été arrêtées pour des faits plus graves et ils sont dehors. Mais où est Thione Seck ?»
Pour la défense, Me Ndèye Anta Mbaye a estimé que ces clients ont été imprudents. La robe noire a souhaité à titre subsidiaire de leur appliquer l'article 13 du code pénal, sous réserve des dispositions qui leur permettraient de bénéficier d'un sursis. L’autre avocat de la défense, Me Aboubacry Barro s’est déchargé sur l’Agent judiciaire de l’Etat. «L’Agent judiciaire a joué le rôle du procureur. Mais dans quel pays sommes-nous ? Dans ce pays, on a tendance à freiner la créativité. Un pauvre citoyen tendant à parler des tares de la société, on l'arrête pour faux monnayage sans le prouver. Combien de personnes ont été arrêtées pour des faits plus graves et ils sont dehors. Mais où est Thione Seck ? Vous dites que l'Etat du Sénégal va sombrer alors que c'est vous, Agent judiciaire de l’État, qui le faites sombrer. Il y a d’autres personnes qui ont fait pire, commis des meurtres et ils sont relâchés. Le Sénégal va sombrer par votre faute», crie Me Barro à l'Aje, qui s'indigne de ces propos. Me Mouhamadou Moustapha Dieng de renchérir qu’il n’acceptera aucune leçon venant de l'Etat du Sénégal et de l'Aje. Pour sa part, Me Djiby Diallo révèle que les ennemis de l'économie, ce sont ceux qui envoient leurs artistes en prison. Il a été suivi par Me Alassane Seck.
Le public crie de joie et applaudit
Après que le juge a ordonné la demande de mise en liberté provisoire qui a été introduite par la défense, tout le public s'est mis à crier de joie et à applaudir. Le délibéré est fixé au 27 décembre 2018
Fatou D. DIONE