Premier Sénégalais dont un astéroïde porte le nom, Maram Kaïré nous parle de sa vie d’astronome, de la promotion de l’astronomie au Sénégal ainsi que de ses projets d’insérer cette science dans le système éducatif. Président de l'Association sénégalaise de promotion de l'astronomie (Aspa), Maram Kaïré, dans cet entretien qu’il nous a accordé, rêve que le Sénégal se lance dans le spatial et que d’ici 10 à 15 ans, on puisse avoir nos propres satellites et pourquoi pas lancer nos propres sondes.
Les Echos : Qui est Maram Kaïré ?
Maram Kaïré :D’abord un Sénégalais. Je suis né et ai grandi à Dakar. J’ai fait une partie de mes études ici avant de rejoindre la France pour les poursuivre. Je suis ingénieur système astronome et j’essaie d’être un vecteur pour le développement de l’astronomie, aussi bien au Sénégal qu’en Afrique.
Comment devient-on astronaute ?
L’astronomie de façon générale est la science qui étudie l’univers dans son ensemble. Que ce soient sa naissance et son évolution dans ses structures. Que ce soient les galaxies, les étoiles, les matières visibles ou invisibles qui le composent. Pour faire cela, il ya beaucoup de disciplines, d’où le nom «la mère des sciences».Il ya les mathématiques pour le calcul des distances, les angles, ainsi de suite. On va retrouver la physique pour voir comment les objets réagissent par rapportà certaines lois physiques, certaines forces, la gravité… Ça nous permet de savoir les trajectoires des étoiles, des planètes ou autres. Il ya la chimie, parce qu’il faut étudier la pression atmosphérique de ces planètes ou la composition des étoiles et les compositions des éléments qu’on observe. Il y a aussi la géologie aussi sous l’appellation autre qui est la planétologie, c’est-à-dire savoir ce qui compose ces astres. Mais aussi la biologie, parce qu’on se pose la question de savoir si la vie existe sur d’autres planètes que sur la Terre. Aujourd’hui, l’astronomie s’adosse à l’outil informatique pour permettre de traiter toutes les données capturées depuis l’espace grâce aux télescopes et radiotélescopes. On peut se spécialiser en astronomie, après les études en physique, en mathématique, en informatique, en optique ou tout simplement en sciences de l’ingénieur ou la mécanique. Ce qu’il faut, c’est une spécialisation après le Bac dans une de ces disciplines et après, opter pour travailler dans l’astronomie. La complexité qu’il ya, c’est qu’au Sénégal on n’a pas d’observatoire et ce n’est pas enseigné dans nos universités.
D’où vous est venue cette passion de l’astronomie ?
L’astronomie est la seule science dans laquelle je me suis senti très tôt à l’aise. Souvent, on fait des choses par obligation et il ya des moments où ce sont des choix personnels. À l’âge de 12 ans, déjà, j’aimais observer les étoiles, le ciel, les constellations. Toute la documentation qui m’intéressait ou les émissions que je regardais tournaient autour de l’astronomie, sinon je m’ennuyais. C’est là où j’ai pris le virus et après, j’ai commencé les observations régulièrement et à prendre des notes de ce que je voyais avec des instruments de plus en plus évolués. En un moment donné, j’ai pris connaissance du risque de faire uniquement de l’astronomie et de ne plus avoir l’opportunité de retourner travailler dans mon pays. C’est pour ça que j’ai fait également des études d’ingénieur système. Sachant qu’avec ces sciences de l’ingénieur on peut toujours continuer de travailler dans le domaine de l’astronomie. C’est ce que nous utilisons dans la collaboration avec la Nasa et autre.
Travaillez-vous avec la Nasa ?
Oui ! En fait avec la Nasa, on collabore depuis 2018 de façon assez régulière, à travers deux missions assez importantes. La mission de la Nasa, c’est d’envoyer des engins pour aller explorer le système solaire. L’homme sur la lune, les robots sur la planète Mars, c’est la Nasa. Et quand certaines missions comme «Nouvel Horizon» a été lancée pour visiter la dernière planète du système solaire, la planète Pluton, qui se trouvait à 5 milliards de kilomètres d’ici, la sonde qui a été envoyée a survolé la planète conformément à ce qui était prévu. Et elle s’est retrouvée en très bon état après la fin de sa mission sans aucun problème technique. Et l’énergie prévue était suffisante pour continuer à parcourir le système solaire. C’est ainsi que la Nasa a décidé d’aller visiter un astéroïde qui se trouve derrière l’orbite de Pluton, à peu près à 6 milliards de Kilomètres. Pour s’approcher d’un objet aussi petit et aussi sombre, il fallait avoir le maximum d’informations. La Nasa a profité d’une occultation stellaire, une sorte d’éclipse au moment où cet astéroïde passe devant une étoile pendant une seconde. On profite de cette occasion pour l’observer à un endroit précis sur Terre. Il fallait un pays où il yavait la stabilité géopolitique, avec des compétences en mesure de les accompagner à mener cette mission. Par chance, cette occultation traversait le Sénégal, entre les régions de Louga, Saint-Louis, Diourbel et Thiès. Ce fut la première collaboration avec la Nasa. Quand le chef de l’Etat a été saisi, le projet a été confié au ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. J’avais déjà informé le ministre Mary Teuw Niane que la Nasa préparait une telle mission. On avait déjà travaillé au préalable là-dessus. Ce dernier m’a confié la coordination de cette mission. 50 astronomes et astrophysiciens américains, 4 français et 21 sénégalais ont participé à cette grande mission. C’est ce travail qui a permis, un an après, de pouvoir visiter cet astre qu’on appelle «Ultimatule» qui se trouve être l’objet le plus éloigné qu’une sonde a visité de l’histoire de l’humanité. En 2020, la mission était de préparer le lancement d’une nouvelle sonde qui va visiter 7 astéroïdes qui se trouvent à côté de la planète Jupiter, en octobre prochain. C’est plus proche, à 700 millions de kilomètres d’ici. Quand la Nasa a fini de faire le calcul des trajectoires, par chance, ça passait aussi par le Sénégal. Cette occultation est tombée en pleine pandémie ; ils ne pouvaient pas se déplacer. On s’est engagé là-dessus et ils nous ont envoyé près de 2 tonnes de matériel. On a travaillé avec 30 Sénégalais, 5 Français et une astrophysicienne belge. Ce fut un grand succès, ce qui permettra à la sonde Lucie, qui va être lancée en octobre, de pourvoir visiter à partir de 2027 jusqu’en 2031 ces astéroïdes.
Comment en est-on arrivé à ce que votre nom soit donné à cet astéroïde ?
D’habitude, ce sont deux situations qui peuvent amener à ce qu’on donne le nom d’une personne à un astéroïde. Il ya l’Union astronomique internationale (Uai) qui est la seule organisation habilitée, autorisée à donner des noms aux objets qui sont dans l’espace. D’abord, c’est le découvreur de l’astéroïde, Alain Maury, en 1998, qui propose un nom qu’il va envoyer à l’Uai avec le dossier comprenant les explications du choix de la personne. Il faut que certaines valeurs soient garanties avant de donner le nom d’une personne à un astéroïde. L’exemple qu’on peut donner : on ne peut pas donner le nom d’un homme politique à un astéroïde avant 100 ans après sa disparition, pour s’assurer qu’il n’y a pas de mal derrière son passage dans les questions politiques. La sélection est assez rigoureuse. Ce qui s’est passé, c’est que lors de la dernière mission de la Nasa, trois amis, astronome, planétologue et astrophysicien, qui travaillent avec nous depuis 2015, ont eu l’idée de dire que depuis la création de l’Aspa à titre bénévole, on abat un travail exceptionnel. Pour cette vulgarisation de l’astronomie au Sénégal et en Afrique, ils ont voulu me rendre hommage. Alors, ils l’ont proposé à Alain Maury qui a accepté, en reconnaissance du travail qui se fait depuis 15 ans maintenant, en plus des deux missions pour la Nasa que nous avons coordonnées. Il a fait la proposition définitive à l’Uai. Ça a été annoncé le 23 septembre 2020 et puis gardé secret en attendant que l’Uai valide. Et c’est le 14 mai 2021que c’est sorti officiellement et annoncé publiquement le 30 juin, lors de la Journée internationale des astéroïdes. Pour eux, ça doit rester pour l’éternité et que les gens s’en servent pour référence.
Serait-il possible, pour vous, un jour, d’explorer l’astéroïde Maram Kaïré ?
Si le Sénégal développe demain un programme spatial, avec ses propres sondes et met la priorité dessus, oui, techniquement, c’est possible. La mission Lucie d’octobre prochain, c’est des milliards de dollars que la Nasa va dépenser pour faire cette expédition. Parce qu’étudier ces astéroïdes permet de revenir 4,5 milliards d’année en arrière, pour comprendre comment le système solaire s’est formé. Pour eux, ça en vaut la peine, parce que ça permet de comprendre l’histoire de notre système solaire. Maintenant, c’est à la Nasa de choisir l’astéroïde qu’il veut explorer, selon la composition des astéroïdes. Le plus facile, à mon avis, serait que le Sénégal se lance dans le spatial et que d’ici 10 à 15 ans, on puisse avoir nos propres satellites et pourquoi pas lancer nos propres sondes. On a les ressources humaines, de grandes écoles polytechniques et autres, les ingénieurs sont là.
Au Sénégal, on n’appelle vos connaissances que pour parler de lune…
Vous avez parfaitement raison et c’est dommage. Ici on associe le plus souvent l’astronomie à l’apparition du croissant lunaire.On l’associe malheureusement aussi à l’astrologie, qui est un art divinatoire alors que l’astronomie est une science exacte.
Marième NDIAYE