A quelques jours de la prestation de serment du chef de l’Etat, Moustapha Diakhaté déniche quelques priorités pour son second mandat. Le ministre-chef de cabinet du chef de l’Etat, qui trouve le dialogue national obligatoire, s’est prononcé sur l’avenir de la coalition Bby, l’organisation et la structuration nécessaires de l’Apr, s’il veut survivre aux mandats de Macky Sall, et continuer à être la locomotive de la coalition présidentielle. Pour les Locales, l’ancien patron des députés de la mouvance présidentielle voudrait que la tête de liste soit d’office élu maire ou président de Conseil départemental, quitte à faire des primaires pour départager les prétendants. Sur sa position concernant la grâce et l’amnistie, qu’il réfute, il ne bouge pas d’un iota.
Les Echos : L’opposition a rejeté l’appel au dialogue du chef de l’Etat. Est-ce que le pouvoir est obligé de dialoguer ? Ne peut-il pas se passer de ce dialogue ?
Moustapha Diakhaté : Le pouvoir est obligé de dialoguer. Parce que le dialogue est l’un des socles qui supportent la démocratie. Quand on gouverne un pays, on le gouverne au nom des populations. Ce qui fait qu’il est nécessaire que le président de la République puisse dialoguer, avec tous les porteurs d’enjeux. Que ce soit des enjeux politiques, économiques, sociaux avec les syndicats, les confessionnels... Mais ce dialogue doit aller dans le sens de l’intérêt général. Je ne souhaite pas que ça soit un dialogue politicien, autour de partage de postes et de prébendes. Ça, les Sénégalais ne le veulent pas. Pour ceux qui ont rejeté le dialogue, ils ont tort. L’opposition a triplement tort. D’abord, le Président a énoncé le principe d’un dialogue, ouvert et constructif. L’opposition devait faire preuve de maturité en l’attendant sur le contenu qu’il donne à ce dialogue. Mais rejeter pour rejeter, ça me semble enfantin. Et malheureusement, depuis 2012, l’opposition brille dans des comportements de ce genre qui lui sont nuisibles.
Il y a beaucoup de supputations quant à l’avenir de Bby. A votre avis, doit-elle survivre au dernier mandant de Macky Sall ?
Absolument, je crois que Bby doit survivre au dernier mandat du Président Macky Sall, pour trois raisons. D’abord, Bby a une plate-forme de développement qui est le Pse. L’autre élément qui doit justifier que Bby survive au second mandat du Président Sall, c’est que Bby est un socle politique très solide, avec des hommes et des femmes qui se sont suffisamment fréquentés pour se connaitre. Enfin, le leadership de Macky Sall est accepté par tout le monde. Aujourd’hui, tout milite pour que Bby continue à s’inspirer du Pse, pour que cette dynamique que nous avons enclenchée depuis 2012, et qui a donné ces résultats, puisse être poursuivie dans l’intérêt des Sénégalais. Nous tous, nous avons intérêt à ce que le Pse devienne notre dénominateur commun, après 2024, autour duquel vont s’agréger l’essentiel des forces, pour l’émergence du Sénégal.
Macky Sall qui est à son dernier mandat est le leader incontesté de l’Apr. N’est-il pas temps de poser la question du dauphinat au sein du parti ?
Il y a deux présidents de la République qui ont essayé le dauphinat et ils l’ont fait à leur détriment : le Président Abdou Diouf et le Président Wade. Et je crois que le Président Macky Sall n’a pas besoin de chercher un dauphin au niveau de l’Apr. Ce que nous devons faire, c’est organiser le parti, mettre en place des règles claires, qui puissent permettre à l’ensemble des militants de pouvoir choisir les leaders locaux et nationaux. En somme, il s’agit de mettre en œuvre les statuts et le règlement. Depuis sa création, pour plusieurs raisons, le parti n’a pas eu le temps de se structurer et de s’organiser. Aujourd’hui, il est temps qu’on le fasse. Une fois les règles d’une gestion démocratique, d’un choix démocratique des leaders établies, la question du dauphinat ne se posera pas, parce que les militants sauront eux-mêmes qui choisir. La logique du dauphinat-là, il ne faut pas y aller.
Justement, est-ce que cette absence de structuration ne va pas poser problème, au moment de choisir un candidat autre que Macky Sall ?
C’est déjà un problème. Maintenant, puisque le Président est à son deuxième mandat, je pense qu’il a les coudées franches pour accompagner le parti à se structurer, aussi bien au niveau horizontal, qu’au niveau vertical. Et il a intérêt à le faire, parce que l’Apr, c’est lui qui l’a fondée ; c’est l’Apr qui lui a permis d’arriver au pouvoir et de réaliser ce qu’il est en train de faire. Je pense qu’il a intérêt à ce que l’Apr survive à son 2ème mandat, mais aussi que l’Apr continue à être le poumon de la coalition Bby. Mais pour qu’il en soit ainsi, la seule personne du Président Macky Sall ne suffit plus. Il nous faut organiser le parti de la base au sommet. Il faut aussi l’organiser au niveau des catégories socioprofessionnelles, des jeunes, des femmes… Si nous le structurons, le réorganisons, avec des règles claires de dévolution des pouvoirs, des responsabilités, aussi bien au niveau local que national, nous pourrons gérer à l’interne des problèmes qui ne manqueront pas. Parce que nous sommes un parti politique et dans tous les grands partis politiques, il y a nécessairement des luttes de positionnement. Mais ces luttes-là, il faut leur trouver un cadre d’expression clair, accepté par tous, un cadre démocratique et respecté. Il est de l’intérêt du parti, si nous voulons être encore les moteurs de la construction et de l’émergence du Sénégal et du Président, s’il veut que son parti soit le capitaine de cette équipe Bby, que le parti soit organisé.
On va vers des locales. Lors des précédentes, il y a eu à votre niveau des divisions et de listes parallèles. Ne craignez-vous pas le même scénario ?
Oui, on peut craindre ce qui est arrivé en 2017 (législatives) et 2014 (locales), avec des listes parallèles à n’en plus finir. Mais je pense qu’avec le parrainage à ce niveau, ça va un peu adoucir les prétentions. A mon avis, une liste qui n’est pas présente sur les 3/5edu territoire des communes et départements du Sénégal, ne doit pas être acceptée. Ce sont ces genres de mesures-là qui vont nous permettre d’éviter la pléthore de listes, mais aussi des listes à connotation ethnique ou confrérique. Il faut qu’on corse encore les conditions pour participer aux élections locales et législatives, relativement au parrainage et à la caution. Ce sont les deux leviers sur lesquels il fait agir, et ça permettra de lutter contre l’anarchie et l’indiscipline, aussi bien pour les partis politiques que les coalitions. Ce sont des éléments décourageants qui vont pousser les gens à aller de plus en plus dans les grands ensembles.
Et dans votre coalition ?
Au niveau de Bby, il faut aussi que les règles soient claires et acceptées par tout le monde. Si nous devons passer par des primaires pour choisir nos candidats au niveau de chaque commune, il faut le faire. La démocratie, certes, n’a pas de prix, mais elle a un coût. Bby et même les autres partis doivent se trouver des moyens pour organiser des primaires pour les locales. Et ceux qui seront retenus, pourront compétir. D’autre part, dans cette réforme, il me semble important qu’on en arrive à ce que la tête de liste, dans la commune ou le département, soit d’office le maire ou le président du Conseil départemental. Et cela doit entrainer aussi la suppression de la liste proportionnelle. Que ça soit une élection majoritaire. Maintenant, est-ce que ce sera à un tour ou deux tours ? C’est un autre débat.
Vous êtes contre une amnistie et une grâce pour Karim Wade et Khalifa Sall. Certains de vos camarades ont pris votre contre-pied. Maintenez-vous toujours votre position sur la question ?
Ici dans la République du Sénégal, la justice n’est pas rendue au nom du chef de l’Etat, mais au nom du peuple. Et c’est au nom du peuple sénégalais, pour les intérêts du peuple sénégalais, que des hommes, que ce soit le maire Khalifa Sall ou Karim Wade, ont été arrêtés et condamnés par la justice. Si je suis contre la grâce, c’est par principe. Au nom de la séparation des pouvoirs, je crois qu’il n’appartient pas à l’exécutif d’effacer d’un trait de plume une décision émanant du pouvoir judiciaire. Deuxièmement, nous avons théorisé la nécessité de la reddition des comptes et le peuple y a adhéré. Donc tous ceux qui ont été arrêtés dans ce sens, on n’a pas intérêt à les gracier ou à les amnistier. Mieux, ceux qui aujourd’hui s’agitent, pour qu’il y ait grâce, il y en a qui disent qu’ils ont été arrêtés sur des bases politiques. Prendre le risque de gracier ou d’amnistier, c’est prendre le risque d’être accusé, demain, d’avoir pris en otage des adversaires politiques, pour les libérer après qu’ils ne constituent plus un danger. Aucun militant de l’Apr sérieux ne doit cautionner cela. En politique, je ne suis pas dans la morale. Je suis dans la défense absolue des principes qui ont fondé le magistère de Macky Sall, à savoir : la gouvernance sobre, surtout la gouvernance vertueuse. Nous devons nous l’appliquer nous-mêmes, mais aussi nous devons l’appliquer à tous ceux qui ont géré des deniers publics.
On vous reproche de protéger ceux des vôtres épinglés par le justice.
A chaque fois que quelqu’un a maille à partir avec la justice, il faut que cette personne-là soit sanctionnée, de quelque bord qu’elle soit. Et il faut qu’on en arrive à sortir la justice du débat politicien. Il faut restaurer davantage le lien de confiance entre la population et la justice, parce que le pouvoir judiciaire, c’est l’édifice essentiel de l’Etat de droit et de la démocratie. S’il s’écroule. Tout le reste va suivre. Nous n’avons aucun intérêt à donner l’impression aux juges que ce sont des faire-valoir. Nous n’avons aucun intérêt à donner l’impression aux populations que nous pouvons utiliser la justice pour régler des questions politiques.
Entretien réalisé par Mbaye THIANDOUM