La loi organique n°2017-09 du 17 janvier, qui est venue en remplacement de celle n°2008-35 du 8 août 2008 sur la Cour suprême, n’a pas été efficace à cent pour cent. Elle comporte des lacunes et ne permet pas, entre autres, la célérité de la justice. Le gouvernement a décidé d’apporter des modifications. Les réformes vont porter sur le doublement des Chambres et par conséquent l’augmentation du nombre de magistrats affectés à la haute juridiction. Ce qui fait qu’il y aura, tel que relaté dans l’exposé des motifs, deux Chambres criminelles, deux Chambres administratives, deux Chambres sociales et deux Chambres civiles et commerciales. Mais, cette réforme va avoir des répercussions sur les différents Cours d’appel, en particulier, et sur toute la chaine judiciaire, en général.
En octobre dernier, le Conseil des ministres avait adopté et examiné le projet de loi organique modifiant la loi organique n°2017-09 du 17 janvier 2017 abrogeant et remplaçant la loi organique n°2008-35 du 8 août 2008 sur la Cour suprême. Il s’agit d’apporter des réformes au niveau de la Cour suprême, après que le gouvernement a constaté que la réforme de 2007 comporte quelques lacunes, notamment la lenteur dans le traitement des recours, la presque inaccessibilité de la haute juridiction etc. «L’accès à la haute juridiction doit être attractif et valorisant, car il consacre le couronnement d’une riche carrière judiciaire. Toutefois, ladite Cour, composée de quatre chambres avec un personnel insuffisant, n’a pas évolué du point de vue de son organisation, pour faire face à la croissance du contentieux née de la création de nombreuses Cours d’appel à travers le pays», note-t-on dans l’exposé des motifs. Le constat est là et, mieux ou pire, «l’exigence de certaines formalités rend difficiles l’accès à la juridiction», tout comme «la longueur des délais de significations se traduit par la lenteur dans le traitement des recours, dont certains requièrent célérité». Ainsi, la modification de certaines dispositions de cette loi organique de 2017 permettra, selon toujours l’exposé des motifs, la «maîtrise des délais de traitement des affaires», la «correction des lacunes», la «simplification des procédures» et «l’harmonisation avec les normes communautaires».
Le doublement des Chambres
Les réformes apportées par le nouveau projet de loi organique sont les suivantes : l’habilitation du Premier président de la Cour suprême pour donner un avis sur les projets de convention entre l’Etat et ses partenaires techniques et financiers ; la désignation du Secrétaire général du gouvernement en qualité de Commissaire général du gouvernement ; le doublement du nombre de Chambres de la Cour suprême ; la possibilité pour le Premier président de nommer des secrétaires généraux adjoints pour assister le Secrétaire général de la Cour ; la réduction du délai de signification des pourvois ; l’institution d’un bref délai pour les recours en annulation des actes des organes de régulation des marchés publics ; l’encadrement de la formalité de paiement de la consignation ; la dispense de la consignation dans la procédure de rabat d’arrêt pour les matières dispensées de consignation ; l’affirmation du caractère non suspensif du rabat d’arrêt ; la suppression du délai pour la rectification de l’erreur matérielle ; l’institution d’une procédure de référé administratif à bref délai ; l’application à la matière sociale des dispositions particulières en matière civile sur l’étendue de la saisine de la juridiction de renvoi.
Un haut magistrat liste les avantages de ce projet de loi
«Cela permet de créer des emplois judiciaires, mais cela permet aussi de respecter les délais ; les gens nous ont tout le temps attaqués, à cause des lenteurs et cela va permettre de régler ce problème de célérité. Actuellement, les magistrats de la Cour font des cumuls de Chambres et cela constitue un lourd travail. Avec le dédoublement et le renforcement de l’effectif, les gens seront un peu déchargés et pour ce qui est des recours, les délais de mise en état, seront très courts et la Chambre pourra juger en temps réel», nous confie un haut magistrat. Pour notre interlocuteur, les magistrats de la haute juridiction sont certes en train de se tuer à la tâche, mais il y a toujours des lenteurs. On ne peut parler de justice efficace sans la célérité. Mais, il faut des moyens humains, pour pouvoir absorber les délais, c’est cela l’innovation majeure, si l’on en croit ce haut magistrat, qui déplore le fait qu’aujourd’hui, il y a une seule Chambre pour une compétence nationale et c’est trop demander aux magistrats. Il y a également le fait que la loi organique de 2017 porte en elle-même quelques incohérences par rapport à certaines dispositions : les délais sont parfois courts, et plusieurs recours sont déclarés irrecevables, car les conditions de forme sont trop serrées, exigeantes, selon ce magistrat. «On a expérimenté la loi depuis 2017, et on a vu qu’il y a des goulots d’étranglement et on peut desserrer un peu pour permettre à la population un accès facile à la Cour suprême», précise encore ce haut magistrat.
Les Cours d’appel risquent d’être dégarnies et toute la chaine touchée
Cependant, reconnait notre interlocuteur, un problème va se poser. Car, pour l’affectation des magistrats à ces nouvelles chambres, il faudra chercher au niveau des Cours d’appel, parce qu’il faut des magistrats expérimentés pour les envoyer à la Cour suprême. Et cela va avoir des répercussions sur les autres juridictions, qui connaîtront des départs. Donc on sera obligé de combler ces départs. D’où la nécessité, selon ce magistrat, de recruter. «Il faut recruter parce que la Cour suprême ne peut puiser que dans les Cours d’appel. Les jeunes magistrats ne peuvent être que des auditeurs et la haute juridiction a déjà recruté sur concours. Dans un premier temps, ils ne pourront pas siéger, ils ne feront qu’un travail de documentation. Il leur faut deux ans pour être reversés. Donc l’Etat doit recruter, puisque le délai raisonnable est devenu une exigence pressante même sur le plan mondial ; ce sont les normes internationales qui l’exigent. Le Sénégal doit se mettre au standard international. Le défi est certes matériel, mais il est plus humain. L’autre souci est que, comme on a l’habitude de le voir, si un dossier traine, cela nourrit des suspicions. Donc on doit prendre toutes les dispositions pour que le climat de sérénité s’installe dans le cadre d’une bonne administration de la justice», explique notre interlocuteur.
Pour l’heure, le projet sera examiné aujourd’hui en plénière. Et comme c’est une loi organique, elle doit passer au Conseil constitutionnel pour un contrôle de constitutionnalité avant la promulgation. Tout un processus qui fait que ce n’est pas demain la veille que des magistrats seront nommés à la haute Cour. Pour notre interlocuteur, il s’agit d’une affaire d’utilité publique et l’Etat doit mettre le pied sur l’accélérateur comme on le fait quand il s’agit d’une affaire politique.
Alassane DRAME