La magistrature a connu un gros chamboulement il y a quelques jours. Les postes clés, notamment ceux de Premier président de la Cour suprême, de Premier président de la Cour d’appel, de Procureur général et de procureur de la République n’ont pas échappé aux changements d’hommes. Ces mesures ont engendré beaucoup de frustrations chez les magistrats, les jeunes comme les anciens. Ça rouspète de partout. En fait, il est de notoriété que le véritable problème au niveau de la magistrature ou précisément du Conseil supérieur de la magistrature (Csm), c’est le parrainage. Dans le langage de Kocc Barma, c’est le «Coumba am ndey ak Coumba amul ndey». De l’avis de beaucoup de magistrats, ceux qui sont sous la coupe d’un ancien ou qui ont un parrain sont ceux qui bougent le plus souvent ou qui sont favorisés dans les affectations, ceux qui n’en ont pas sont totalement ignorés. Vérité ou accusation gratuite ?
Comme toute mesure, les dernières décisions issues de la réunion du Conseil supérieur de la magistrature ont suscité des frustrations. Chez la jeune génération comme chez les anciens, le mécontentement est quasi général. C’est parfois dû aux «injustices» ou affectations injustifiées dans certaines décisions. Les mouvements notés dans les Cours d’appel font grincer des dents. Un magistrat de siège, qui a fait trente ans de service, ne peut pas comprendre qu’il soit oublié dans une juridiction pendant des années, hors de Dakar. Ce, surtout en pleine année scolaire. «Je ne comprends pas que je ne sois pas concerné par ces dernières mesures, j’ai fait plusieurs années ici, j’espérais qu’on allait au moins me rapprocher de Dakar ou de ma région natale», s’interroge ce magistrat chevronné, réputé très compétent. Ce, même s’il prend la décision avec philosophie. Cependant, cette sagesse n’est pas le propre de tout le monde, surtout chez les moins âgés. «C’est du n’importe quoi ce qui se passe ici, parfois tu es dégoûté», s’est emporté un magistrat du parquet qui venait de subir la «pire» affectation qu’il n’ait jamais connue. Notre interlocuteur d’ajouter, toujours en colère : «s’il faut avoir un parrain pour pouvoir bénéficier d’une affectation qui ne serait que justice, je sais que je n’en bénéficierais jamais. Je ne suis pas dans ces histoires-là». En réalité, le véritable problème de la magistrature, c’est le parrainage ou, pour utiliser la langue de Kocc Barma, la réalité du «Coumba am ndey ak Coumba amul ndey».
Le parrainage suscite la colère de beaucoup de magistrats
L’on ne comprend pas que dans chaque mesure à la suite d’une réunion du Conseil supérieur de la magistrature (Csm), certains magistrats sont favorisés au détriment des autres qui, parfois, remplissent beaucoup plus de critères liés à la compétence ou à l’ancienneté. Certains bougent quand ils le souhaitent ou sont affectés dans les juridictions qu’ils souhaitent. Et à côté de ceux-là, d’autres sont sclérosés dans les juridictions où ils ont été envoyés depuis plusieurs années, parce que oubliés totalement. Toujours, hors de Dakar. Certes, un fonctionnaire ne doit pas se plaindre d’une affectation, mais il est évident que la capitale sénégalaise présente plusieurs avantages. «On m’a encore oublié ici», s’est plaint un juge qui rêvait de réunir toute sa famille à Dakar. «Je me demande parfois s’il ne faut pas que je me trouve un parrain pour pouvoir être affecté au moins à Thiès ou Mbour ? Mais mon problème, c’est que je ne suis pas ce genre de personne», nous confie-t-il.
L’Exécutif ne s’intéresse qu’à certains postes clés
En fait, le président de la République n’a rien à voir avec le parrainage. Ce qui l’intéresse, dit-on dans les couloirs, ce sont les postes clés de Premier président de la Cour suprême, Premier président de la Cour d’appel de Dakar, Doyen des juges, Procureur général et procureur de la République. Pour le reste, il ne connait même pas les magistrats, parfois ; il appose juste sa signature. C’est le secrétaire général du Csm qui fait le pré-rapport, un pré-conseil est ainsi tenu avec le ministre de la Justice; et c’est à partir de là que le jeu des influences s’opère ; on retire certains pour les remplacer par d’autres. Et ce favoritisme fait parfois qu’il y a des incohérences. Seulement, rares et très rares même sont les magistrats qui osent lever le doigt, lors de la réunion du Conseil supérieur, pour apporter des rectificatifs sur des incohérences ou des injustices. Résultat des courses : des erreurs et autres injustices à gogo.
Le nom du président de l’Union des magistrats sénégalais, Ousmane Chimère Diouf, est aussi sur toutes les lèvres. Beaucoup de ses collègues lui en veulent terriblement. «Il n’a plus rien à dire puisqu’il a eu une belle promotion en tant que Premier président de la Cour d’appel à Saint-Louis», balancent, presque dépités, au moins deux magistrats du siège avec qui nous avons échangé. Ces derniers reprochent à Ousmane Chimère Diouf l’omerta qu’il a décidé d’observer, surtout que, jusque-là, critiquent-ils, il n’a rien réalisé, si ce ne sont des promesses et rien d’autre.
Ne faudrait-il pas établir des critères pour régir ces affectations ?
La question est de savoir s’il ne faudrait pas établir un certain nombre de critères qui doivent régir ce système d’affectation pour éviter ces genres de frustrations. L’Ums, il y a quelques temps, avait soumis des réformes à l’Exécutif, notamment pour la nomination à certains postes comme celui de procureur de la République. Des accords de principe avaient été trouvés, mais rien de plus. Ce genre de réformes devrait être instauré au Csm pour les affectations des magistrats. Ce serait beaucoup mieux que de s’installer dans ce système de «Coumba am ndey, Coumba amul ndey» qui, loin d’être un stimulus ou un encouragement, ne fait que provoquer du dégoût ou des frustrations, même si ces personnes sont assez responsables pour faire leur travail correctement, quelle que soit la situation.
Alassane DRAME