MATHIEU CHUPIN, PRESIDENT DE DAKAR SACRE-CŒUR: «Notre football local en termes d’économie équivaut à zéro»



 
 
 
Le modèle économique des clubs sénégalais, un véritable casse-tête pour la professionnalisation du football sénégalais. Le président du club de Ligue 1 Dakar Sacré-Cœur nous en dit plus sur les maux du football sénégalais, dans un entretien qu’il nous a accordé. Pour Mathieu Chupin, le développement du football passe par «un appui institutionnel fort de l’Etat du Sénégal et des collectivités locales», mais aussi par «un modèle de club qui exploite l’environnement avec le potentiel sportif de la jeunesse sénégalaise».
 
          
 
Les Echos : Comment se portent les équipes masculine et féminine élites de DSC ?
 
 
 
Mathieu Chupin : Les deux effectifs sont en préparation pour le démarrage de la saison. Pour l’équipe homme on a une date, donc c’est plus facile, le 2 janvier, en fin de semaine. On prépare la reprise depuis le mois de septembre avec un effectif qui, dans l’histoire du club, n’a jamais été aussi jeune. Normal, parce qu’on a, depuis 2015, mis l’accent sur la petite catégorie. Depuis 5 ans, ces jeunes ont grandi et ce sont eux qui vont être au niveau de l’équipe première. Ils seront entourés de quelques cadres. Concernant l’équipe féminine, on est en construction. On a une équipe très ambitieuse. On a l’intention de frapper fort cette année.
 
 
 
Quelles sont vos ambitions pour cette saison ?
 
 
 
On est arrivé il y a trois ans en première division. La première année, je crois qu’on a été 7e, la deuxième année on a été 3e et l’année dernière ont est 4e sur la demi saison. On a été en tête sur une ou deux journées. On a permuté un peu sur les trois derniers matchs de la phase aller. L’objectif, c’est clairement d’être sur le podium, terminer parmi les trois meilleures équipes. C’est l’ambition que nous avons au niveau de Dakar Sacré-Cœur, bien entendu chez les garçons comme chez les filles.
 
 
 
Pouvez-vous nous parler de votre partenariat avec l’Olympique Lyonnais ?
 
 
 
Depuis 2015, on est le partenaire africain de l’Olympique Lyonnais. C’est une fierté parce que l’Olympique Lyonnais est actuellement leader du championnat de Ligue 1 française. L’OL est connu pour être un club sérieux, organisé et propriétaire de son stade. L’OL reste depuis des années parmi les meilleurs clubs formateurs de l’Europe, sur le podium 2e ou 3e derrière Barcelone. Pour nous, c’est un partenaire très précieux. On a besoin de grandir, on est dans un football, en Afrique, qui se développe et on a besoin d’aller voir ce qui se fait de mieux ailleurs, retenir les meilleures idées et puis le mettre en pratique ici. On a un partenariat avec l’OL qui est global, qui n’est pas uniquement basé sur le foot pro et la recherche de joueurs pour l’OL.
 
 
 
Sur le plan local, quels seront  selon vous les impacts ou les conséquences des matchs à huis clos sur l’économie des clubs sénégalais ?
 
 
 
Il n’y en a aucun, puisque notre football local, malheureusement, en termes d’économie, équivaut à zéro. Il est totalement déficitaire, en faillite totale. On le dit avec la ligue depuis des années. C’est très dommage parce que le football, la ligue et les clubs professionnels ont contribué énormément au développement de notre football d’une manière générale ces 10 dernières années, mais malheureusement, il n’y a aucune reconnaissance par rapport à ça. Si on compare l’équipe nationale de 2002 à celle de 2020, on verra qu’il y a une progression colossale du nombre de joueurs qui ont été formés dans ce championnat. C’est un premier résultat mais ça va bien au-delà. On est l’un des premiers employeurs de jeunes dans ce pays, près de 3000 directs et indirects depuis la création de la ligue pro. On est à l’origine de succès de merveilleux joueurs comme Sadio Mané, Ismaïlia Sarr, Gana Guèye et autres qui aujourd’hui font vivre des centaines de personnes. La liste des acquis de notre football local est longue, mais malheureusement, en réalité, l’économie du foot c’est zéro localement, parce qu’on n’a pas la première condition. On n’a pas de stades. Un football professionnel, c’est d’abord un lieu d’expression d’un spectacle sportif. Ce lieu, aujourd’hui on ne l’a pas. Les stades sont vétustes, les pelouses sont dans un mauvais état. On va jouer contre le stade de Mbour le week-end prochain sur une pelouse qui est dans un état catastrophique. Les gradins, les zones d’accueil VIP, les sanitaires, tout est dans un état catastrophique. La deuxième raison, c’est la télé. On est dans une histoire complétement dingue depuis 2 ans avec StarTimes. On ne comprend plus. Lors du dernier Conseil d’administration de la Lsfp, on a appris que le dossier était toujours sur la table et qu’il y avait toujours des perspectives, mais on est bloqué sur des histoires de signatures. Et pourtant, ce dossier permettra à l’Etat sénégalais d’avoir un bailleur de fonds qui ne coûte rien et qui finance une partie du développement de notre football professionnel. Qui dit absence de couverture télé dit automatiquement impact sur les annonceurs. Les sponsors veulent être présents dans un stade où il y a du monde, correct et bien entretenu et veulent que ces matchs soient télévisés. On ne peut pas avoir un football professionnel économiquement viable si ces conditions ne sont pas réunies. Le modèle aujourd’hui est presque mort-né.
 
 
 
Quel doit donc être le modèle économique idéal pour les clubs sénégalais ?
 
 
 
Pour moi, c’est un mélange un peu de ce qu’on a ici au niveau de DSC, c’est-à-dire ne pas dépendre de cette activité football professionnel où on a sur le plan local des revenus qui équivalent à zéro. Deuxièmement, les transferts de joueurs qui sont des revenus totalement aléatoires. D’une année à une autre, vous pouvez avoir des transferts intéressants. Là en plus on a l’impact du Covid. On est dans un marché sous-coté par rapport à la valeur de nos joueurs. Tous les présidents de clubs ont peur que l’impact du Covid soit également négatif à ce niveau-là. On aura des transferts à -30 ou -40%, ce qui sera catastrophique pour nous. On ne peut pas, quand on développe un projet comme le nôtre, compter sur ces revenus-là. Ce n’est pas possible. Le football local pour l’instant ce n’est pas d’actualité et les revenus sur les transferts des joueurs posent aussi problème. La solution, c’est d’avoir, comme nous, un club partenaire qui nous donne une subvention qui couvre une partie de notre budget football professionnel et essayer d’avoir à côté des revenus stables, réguliers, c’est l’activité sport loisir qui est très précieuse chez nous. C’est la location de terrain, l’école de football, les stages lors des vacances sauf que cette année, on est resté 6 mois fermé, on n’a pas eu ces revenus. Le troisième volet, à mon sens, c’est être de plus en plus acteur du développement de notre environnement, jouer un rôle sur le plan des RSE et mobiliser un certain nombre de partenaires au développement pour être acteur de programme d’action en matière d’éducation des jeunes, de santé ou de sport. Il faut penser entreprise.  Il y a des clubs au Sénégal qui ont un important patrimoine foncier, d’autres ont fait des partenariats avec des clubs européens et aussi des clubs d’entreprise. Le modèle en Afrique, soit c’est des académies qui se créent avec le seul espoir de vendre des joueurs, l’autre, c’est avec un président mécène qui fait des chèques à l’infini et le jour où il ne pourra plus, le club subira les conséquences. On essaie de faire le modèle du président Olas qui a mis sur pied une entreprise dédiée au sport et performante. Mais pour son développement, il faut un appui institutionnel fort de l’Etat du Sénégal et des collectivités locales. On n’y est pas du tout. On a vu récemment la réaction de l’Etat après les manifestations des artistes. Je pense qu’au niveau du sport, on sera obligé d’aller dans la rue pour montrer qu’on existe, qu’on réalise des choses et qu’on ne peut pas rester là à être impacté comme n’importe quelle autre entreprise. On travaille dans le secteur de la jeunesse, moins de 30 ans, qui représente 70% de la population au Sénégal. La prise en compte du sport comme une véritable filiale pourvoyeuse d’emploi et de richesse multiple, d’éducation et autre, apparemment n’est pas retenue comme une priorité nationale. Il faut aussi que le secteur privé accompagne. L’Etat doit s’engager avec des mesures fortes, y compris des mesures fiscales pour inciter les entreprises à financer le développement du sport.
 
 
 
Quelles sont les pistes de développement à prendre par les clubs sénégalais, selon vous ?
 
 
 
Juste une parenthèse. Ce qui est d’autant plus rageant, c’est quand on regarde les résultats et notamment celui de Teungueth contre le Raja. On fait 0-0, le budget du Raja est entre 10 ou 15 millions d’euros et nous, on fait match nul contre le Raja. On l’a vu aussi avec Génération Foot, ces dernières années, qui manque de peu de passer. Ça veut dire qu’on n’est pas loin. C’est ça qui nous énerve, en tant que président de club, alors que nous mettons l’essentiel des moyens. Le football professionnel n’existe pas grâce à l’appui de la fédération, mais plutôt grâce aux 28 clubs professionnels. Pour revenir à votre question, je prends un modèle de club qui exploite l’environnement avec le potentiel sportif de la jeunesse sénégalaise qui est exceptionnel, parmi les meilleurs au monde. On le voit maintenant avec les statistiques de nombre de joueurs qui évoluent dans le ‘’Big Five’’, 33 joueurs sénégalais exactement. C’est colossal, on est loin devant le Nigeria et d’autres pays de football même en Amérique du Sud. Il faut faire un travail sérieux. Il faut que les clubs se développent dans la formation de qualité. Il faut que les clubs soient à l’écoute de l’environnement de l’écosystème et voient toutes les opportunités qu’il y a. Il faut bien comprendre que nos clubs doivent être des vecteurs de développement dans plusieurs domaines. Il y  a moyen de capter du financement sur ce volet-là. Mais il faut la base : un Etat qui décide d’engager des moyens pour le sport. Et la deuxième condition, c’est inciter le secteur privé à nous accompagner. Il faut absolument qu’on crée un cadre de concertation des présidents de clubs. Les entraineurs et les joueurs l’ont fait, c’est à nous maintenant et après on pourra ensemble présenter un certain nombre de revendications.
 
 
 
«On est à l’origine du succès de merveilleux joueurs comme Sadio Mané, Ismaïlia Sarr, Gana Guèye et autres qui aujourd’hui font vivre des centaines de personnes.»
 
 
 
«La prise en compte du sport comme une véritable filiale pourvoyeuse d’emploi et de richesse multiple n’est pas retenue comme une priorité nationale»
LES ECHOS

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