MALAISE DANS LES FORCES ARMEES GAMBIENNES: Le retour de généraux fidèles à Jammeh et de «junglers» doit inciter le Président Barrow à faire plus confiance à son armée

Un an après son arrivée au pouvoir et l’exil de son prédécesseur en Guinée Equatoriale, le Président gambien Adama Barrow ne semble pas en très bons termes avec la haute hiérarchie de son armée, qui l’accuse de la snober. Au moment où des généraux, anciens membres de l’état-major de l’ex Président Yaya Jammeh, sont signalés dans le pays, la crainte d’une tentative de retour de l’ancien régime reste prégnante, surtout après les dernières frictions entre l’Aprc, parti de Jammeh et des militants de la coalition du Président Barrow, mais également l’affaire plus ancienne des soldats «comploteurs».



 
 
Ancien ministre de l'Intérieur de la Gambie, Momodou Alieu Bah a qualifié ce qu'il appelle «la méfiance actuelle entre le Président Adama Barrow et l'armée gambienne, de plutôt triste et très malheureux». S'exprimant dans une interview exclusive accordée à Freedom Radio Gambia, M. Bah a déclaré qu'il croyait fermement que le Président Barrow ne faisait pas confiance à l'armée gambienne ; c'est pourquoi ses rapports avec l'armée sont très limités depuis qu'il est à la magistrature suprême. «Je ne pense pas que le Président Barrow ait eu confiance en notre armée. Se c’était le cas, il n'aurait pas isolé l'armée. Il est temps que le Président Barrow fasse confiance à notre armée. Nos services de sécurité ont besoin de motivation. Le moral de l'armée et des autres secteurs de la sécurité dans le pays est à son plus bas niveau. Et ce n'est pas correct. Il est le commandant en chef, il devrait apprendre à leur faire confiance», a déclaré Bah, ancien brigadier général de l'armée, à Freedom Radio Gambia.
 
L’armée gambienne peu responsabilisée et démotivée
 
Ce cri du cœur d’un officier supérieur gambien dénote le malaise qui prévaut aujourd’hui au sein des forces de défense gambiennes, qui s’estiment reléguées au second plan depuis le départ de Yaya Jammeh et la présence des forces de la Cedeao, menées par les éléments de l’armée sénégalaise. Déjà que le retrait de cette force étrangère a été remis, puisque le mandat de l’Ecomig a été prolongé de 12 mois jusqu’en juin 2018. Mieux, la garde rapprochée du Président Barrow est toujours assurée par les gendarmes sénégalais, qui ont pris en charge la formation d’une relève gambienne.
 
Climat social délétère, lit de manifestations et d’affrontements
 
Le climat social en Gambie, marquée ces derniers mois par des pénuries dans la fourniture d’électricité et d’eau, n’a pas été de tout repos, avec des manifestations de populations mécontentes, dans le sillage du rétablissement des libertés individuelles et collectives, ainsi que de la liberté de presse.
Aussi, le malaise ambiant s’est exacerbé avec les affrontements, début janvier, entre des groupes rivaux de militants de l’Aprc, parti de l’ancien président Yaya Jammeh et ceux de l’Udc, parti au pouvoir. Les violences ont été telles que la police a dû suspendre les activités politiques jusqu’à nouvel ordre.
Arrivée inattendue de proches de Jammeh en provenance de Guinée Equatoriale
 
C’est donc dans ce contexte que, dimanche 21 janvier dernier, la Police militaire de Gambie a mis la main sur les généraux Umpa Mendy et Ansumana Tamba, deux proches de l’ancien Président Yaya Jammeh, après leur retour de la Guinée Equatoriale vendredi dernier. Certains analystes approchés par le journal The Point pensent que ce retour entre dans le cadre d’un mouvement des pro-Jammeh pour reprendre pied dans le pays. «Ces deux faisaient partie de l’équipe diabolique de Jammeh qui a perpétré des crimes graves contre la population gambienne sous Jammeh. Il est choquant qu'ils soient autorisés à pénétrer dans le pays par les portes principales sans problème», a déclaré une source sécuritaire.
Le général Umpa Mendy est né à Kachumei et réside à Bushumbala (le lieu de la récente agitation politique qui a vu la destruction de propriétés et des attaques des partisans des deux côtés de la fracture politique). Il a été indexé comme un membre clé de l'escouade infâme et redoutée de Jammeh, les «junglers». Le Général Mendy supervisait personnellement les opérations de l'équipe ou la dirigeait dans certains cas, selon les sources de The Point.
Un autre parmi les rapatriés confirmés, le Général Ansumana Tamba, est originaire de Kassa Kunda, un village non loin de Brikama. Il a été commandant de la Garde nationale et loyaliste pendant environ trois ans avant le départ de Jammeh.
Selon des sources, le général Saul Badjie a également quitté la Guinée Equatoriale et traîne actuellement dans un pays voisin. «Il se trouve au Sénégal ou en Guinée-Bissau mais pas en Guinée Equatoriale», a déclaré notre source.
 
Les loyalistes de Jammeh arrêtés ne présentent aucune menace, selon l’armée
 
Le Major Lamin K. Sanyang, l'officier en charge des relations publiques (PRO) des Forces armées de Gambie (GAF) a déclaré à The Point dans une interview que le retour dans le pays des généraux Umpa Mendy et Ansumana Tamba en provenance de la Guinée Equatoriale ne constitue pas une menace pour la sécurité nationale. «Les deux hommes ont voyagé par Royal Air Maroc et sont actuellement détenus à la caserne militaire de Yundum, soumis au feu roulant des questions des enquêteurs», a-t-il dit. «Pour l'instant, nous ne pouvons pas dire si quelqu'un d’autre a pu s'échapper, mais l'enquête le révélera», a-t-il ajouté. Le major Lamin K. Sanyang a conclu qu'il n'y avait pas lieu de s'alarmer dans le pays, assurant que la situation sécuritaire de la Gambie est sous contrôle et que «les populations pouvaient continuer à vaquer à leurs occupations normalement». Interrogé à nouveau sur les rumeurs selon lesquelles le général Badjie a également quitté la Guinée Equatoriale, M. Sanyang a déclaré qu'ils surveillaient leurs activités, précisant que le général Umpa Mendy avait été arrêté chez lui à Bushumbala, tandis que le général Ansumana Tamba l’avait été à Yarambamba.
 
Le général Saul Badjie et le «jungler » Rambo seraient passés en Casamance
 
A propos du général Badjie, il serait arrivé en Gambie plus tôt que ses collègues Mendy et Tamba. Il se serait faufilé à travers la Gambie, plus tôt la semaine dernière et serait actuellement en Casamance, d'où il est originaire.
Mais il n’y a pas que des généraux de Jammeh à avoir regagné la Gambie. Le manifeste d’un vol ayant atterri à l'aéroport international de Banjul a révélé que Momodou Jarju, alias Rambo, faisait partie des anciens officiers de l'armée qui sont revenus d'exil. Jarju est un ancien membre de l'équipe d'assassins du dictateur Yaya Jammeh appelés les junglers. Il est passé à sa maison familiale à Brikama à son retour. Mais, selon certains rapports, Jarju aurait fui le pays vers la Casamance voisine. Des éléments des forces de sécurité gambiennes ont fait une descente dans la maison de Rambo à Brikama, lundi, mais il était introuvable. Momodou Jarju a été cité dans diverses atrocités allant de l'enlèvement, la torture et le meurtre d'opposants politiques.
 
L’armée sénégalaise doit garder l’œil sur la faction de Salif Sadio
The Freedom Newspaper a recueilli de sources crédibles que certains des loyalistes de Jammeh, qui se sont récemment infiltré en Gambie, avaient des liens étroits avec les rebelles du Mfdc. L'un des renégats qui se cachent actuellement en Casamance est utilisé pour coordonner les activités de la faction du Mfdc présente en Gambie. Il était le relais de Jammeh dans la gestion des affaires des rebelles. Il fournit aux rebelles des rations alimentaires, voitures et des armes. La sécurité intérieure de la Gambie est délétère avec des cas avérés de larcins, vols à main armée et de meurtres.
En tout cas, la lecture qu’il faut avoir de tous ces mouvements d’hommes fidèles à l’ancien dictateur Yaya Jammeh est que le Président Adama Barrow et son régime ont tout intérêt à reprendre en main les forces armées gambiennes et à leur accorder beaucoup plus de considération. Le gouvernement de Barrow devrait élargir sa collecte de renseignements autour de la frontière entre la Gambie et le Sénégal, car les dissidents pro-Jammeh ne devraient pas être sous-estimés, a déclaré un analyste à Freedom Newspaper. Pour leur part, les forces armées sénégalaises, aussi bien le contingent au sein de l’Ecomig, que les éléments déployés en Casamance, doivent garder l’œil sur les activités de ces renégats gambiens qui pourraient fricoter avec les rebelles du Mfdc, particulièrement la faction de Salif Sadio, dont les dernières déclarations n’augurent rien de bon dans l’évolution de la situation dans cette partie du Sénégal.
Mansour KANE
 

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