Gracié hier après plus de 30 mois de prison, Khalifa Sall garde-t-il toujours ses droits civils et politiques ? Les spécialistes se prononcent.
Me Assane Dioma Ndiaye : «seule une décision de justice peut faire perdre à Khalifa Sall ses droits civils et politiques»
Selon Me Assane Dioma Ndiaye, le décret qui a gracié l’ex-maire de Dakar n’a pas été précis, puisqu’il n’a parlé que de «remise totale des peines principales», sans parler des peines complémentaires. «Or, seule une décision de justice peut faire perdre à Khalifa Sall ses droits civils et politiques», précise la robe noire. Ainsi, selon Me Ndiaye, dans ce cas de figure, la perte de Khalifa Sall de ses droits civils et politiques devrait être concomitante à la peine principale qui est la condamnation à 5 ans de prison, elle ne devrait pas être définitive. Au-delà, souligne-t-il, l’ex-édile de la capitale sénégalaise devrait participer à des élections.
Me Moussa Sarr : «Le débat se pose sur la perte de ses droits civils et politiques»
«Pour moi, il ne ressort pas des différentes condamnations contre Khalifa Sall que la justice l’ait privé de ses droits civils et politiques. Cela ne ressort pas des différentes décisions. Toutefois, le code électoral contient une disposition qui indique que lorsque vous êtes condamné à une peine d’emprisonnement ferme de 5 ans, vous ne pouvez pas être éligible. Donc c’est ça le problème. D’ailleurs, c’est sur la base des dispositions du code électoral qu’il n’avait pas été déclaré éligible. Il n’avait pas été déclaré éligible non pas sur la base des décisions de justice, mais surtout sur la base du code électoral qui contient une disposition qui indique que si vous êtes condamné à 5 ans de prison ferme, vous n’êtes pas éligible. Donc voilà le débat. Parce que c’est un juge qui doit déclarer à une personne la perte de ses droits civils et politiques. Maintenant, on est en matière politique. On peut toujours discuter politiquement soit dans le cadre du dialogue national soit en dehors du dialogue national pour régler cette situation soit en réformant le code électoral en supprimant cette disposition qui pose problème ou discuter dans le cadre du dialogue national ou en dehors pour aboutir à une loi d’amnistie. Le droit de grâce est une première étape».
Alassane DRAME
Khalifa Sall est sorti de prison suite à la grâce présidentielle. Mais, en tant qu’homme politique, c’est comme s’il était encore dans une autre forme de prison, car privé de deux droits primordiaux pour un homme politique de son rang : le droit d’être électeur et celui d’être éligible. En effet, même si les textes de sa condamnation ne lui enlèvent pas ses droits civiques, civiles et familiaux, du moment que la condamnation reste dans son casier judiciaire, le Code électoral lui interdit d’être électeur et éligible.
Khalifa Sall est sorti de prison à la faveur d’une grâce présidentielle. Une liberté saluée à juste titre par les parents, proches et partisans de l’ex-maire de Dakar. Désormais libre de tout mouvement et de toute activité, le leader de la coalition Taxawu Dakar n’en est pas moins confronté à des obstacles de taille. La grâce présidentielle lui permet juste de quitter la prison. Ce qui est loin d’être satisfaisant, si l’on tient compte de la dimension politique de l’homme. Un des leaders politiques les plus en vue, avec des ambitions avouées pour la magistrature suprême du pays, Khalifa Sall, même libre, est freiné par le Code électoral (article L31). Il ne peut compétir à aucune élection dans sa situation actuelle. «La déchéance des droits civiques, civils et de famille est prévue par l’article 34 du Code pénal. Mais, cela n’est pas automatique. Si le texte de condamnation ne prévoit pas expressément cela, ça ne peut pas se faire. Dans le cas d’espèce, même si Khalifa Sall a été condamné, il n'a pas été privé de ses droits civiques, civils et de famille. Cela veut dire qu’en principe, il serait électeur et éligible. Mais, en revanche, ce sont les dispositions du Code électoral qui l’empêchent d’être éventuellement candidat. Ce sont les dispositions du Code électoral qui constituent une entrave à une éventuelle candidature, soit à la députation ou à la présidence», explique le professeur Ndiack Fall. Qui ajoute que l’ancien maire de Dakar «est exactement dans la même situation dans laquelle est présentement Karim Wade». La grâce les dispense de l'exécution de la sanction pénale, mais la condamnation reste inscrite dans leur casier judiciaire.
Une loi d’amnistie, le seul véritable salut pour Khalifa Sall
Dès lors, pour le professeur de droit, le leader de Taxawu Senegaal «ne peut pas être candidat. Sauf s’il y avait l'intervention d'une loi d’amnistie». D’ailleurs, c’est conscient de cela que les partisans de Khalifa Sall, notamment ses conseils, ses principaux lieutenants et conseillers politiques, même s’ils apprécient positivement la grâce présidentielle à sa juste valeur, visent clairement une loi d’amnistie. «Ce qu’il lui faut, c’est une amnistie», a déclaré Me Moussa Sarr. Mais pour une amnistie, c’est beaucoup plus compliqué, car étant votée par l’Assemblée nationale, aujourd’hui dominée largement par les députés de la mouvance présidentielle. Ceux-là même qui avaient voté en mode «fast-track» la levée de l’immunité de Khalifa Sall et son exclusion du Parlement. A moins que le même désir et la même volonté qui ont poussé Macky Sall à lui accorder la grâce, ne le poussent aussi à inviter sa majorité à voter une loi d’amnistie.
Mbaye THIANDOUM