La Russie s’apprête à recalibrer sa stratégie militaire en Afrique (rapport)



Le rapport souligne que la lourde défaite subie par les troupes russes dans le nord du Mali en juillet 2024 et la perte de deux bases syriennes clés obligent Moscou à changer son fusil d’épaule. L’intérêt se porte désormais sur la formation des forces armées africaines et l’interruption de toute implication directe dans les combats.

La Russie s’apprête à repenser sa stratégie militaire en Afrique en mettant fin à l’implication directe de ses troupes dans les combats contre les groupes armés et en se concentrant sur la formation des forces armées locales, selon un rapport publié le vendredi 31 janvier 2025 par le think tank indépendant américain Quincy Institute for Responsible Statecraft. 

Intitulé « Recalibration or Retreat ? Russia's shifting Africa strategy », le rapport rappelle que l’année 2024 a été marquée par des revers de taille pour Africa Corps, la structure militaire russe qui a partiellement repris les opérations africaines de Wagner après la mort du chef de cette société militaire privée en août 2023.

La première infortune a été la mort d’une « centaine » de soldats russes dans une embuscade qui leur a été tendue en juillet dernier par des combattants du Cadre stratégique pour la défense du peuple de l’Azawad (CSP-DPA), une coalition de groupes rebelles actifs dans le nord du Mali, à Tinzaouatène, une localité située près de la frontière algérienne. Il s’agit de la plus lourde perte subie en une bataille par les forces russes qui soutiennent les forces gouvernementales maliennes depuis fin 2021.

Cette déroute a mis à nu de graves problèmes de commandement et de contrôle après un transfert partiel des opérations de la société militaire privée d’Evgueni Prigojine au ministère russe de la Défense. Elle a également donné de l’eau au moulin de la communauté d’experts russes et d’un certain nombre d'officiers militaires qui ont critiqué à la fois la participation directe des contingents armés russes à un conflit asymétrique au Mali et, plus largement, la résolution de ce conflit complexe exclusivement par des moyens militaires.

La chute du président syrien Bachar al-Assad en décembre a par ailleurs remis en question l’avenir des bases militaires de Hmeimim (aérienne) et Tartous (navale), qui servaient de hub logistique pour les opérations russes en Afrique.

En outre, la guerre menée par la Russie en Ukraine, qui entrera dans quelques jours dans sa troisième année, a privé les troupes d’Africa Corps de combattants et de spécialistes expérimentés du groupe Wagner.

Davantage d’initiatives de soft power sont attendues

La croyance selon laquelle l'Afrique était un terrain de déploiement « plus facile » que l'Ukraine, les problèmes de népotisme dans l'obtention des déploiements des contingents militaires et les récompenses pour la loyauté plutôt que pour la compétence ont aussi impacté négativement la qualité des forces russes déployées au Mali.

Ces développements ont conduit certains analystes à penser que l'influence de la Russie et sa capacité à projeter sa puissance au Sahel s'affaiblissent, ou que le Kremlin ne considère plus le Sahel et d'autres pays d’Afrique comme une priorité. Mais un retrait des troupes russes de l’Afrique paraît très improbable d’autant plus que la position de leader au sein du « Sud global » revendiquée par Moscou reste une priorité. De plus, le Sahel et l'Afrique au sens large offrent à la Russie une plateforme pour renforcer sa coopération avec la Chine et la Turquie.

Dans un tel contexte, Moscou s’apprête à recalibrer sa stratégie militaire en Afrique pour la faire mieux correspondre aux capacités existantes. Le rapport précise que ce recalibrage passe notamment par la réduction, voire la suppression de la participation directe des troupes russes aux combats, car Moscou ne semble plus avoir ni la capacité, ni le désir de s'attaquer aux crises développementales, économiques et humanitaires massives du Sahel.

L’accent sera, de ce fait, mis sur la formation des forces armées locales. Il est d’ailleurs fort probable que les instructeurs russes se limitent désormais à la formation de la force antijihadiste de 5000 hommes, dont la création a été annoncée tout récemment par les pays membres de l’Alliance des Etats du Sahel (Mali, Niger et Burkina Faso). Le personnel d’Africa Corps est censé être composé en grande partie d'instructeurs, les unités de combat étant destinées à servir uniquement de réserve opérationnelle pour assurer la sécurité des centres administratifs et des infrastructures critiques.

Le rapport souligne en outre qu’un engagement russe accru dans des initiatives de « soft power » est aussi attendu durant la période à venir. Des organisations à but non lucratif et des associations publiques russes devraient lancer des initiatives qui capitalisent sur le sentiment anti-occidental, alors qu’une coopération significative avec l'administration du président américain Donald Trump en Afrique reste improbable, malgré un accord entre les deux camps sur l'importance des valeurs traditionnelles et les échecs du libéralisme.

ecofin


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