LETTRE OUVERTE DE ADAMA DIENG AUX SÉNÉGALAIS: Le Secrétaire général adjoint de l’Onu et spécialiste de la prévention du génocide alerte sur les dangers de l’incitation à la violence



 
Il faut donc croire que le Sénégal inquiète par sa situation sociopolitique. Les interpellations fusent, en effet, de partout pour appeler les Sénégalais à la préservation de la paix légendaire de notre pays. Vendredi, Adama Dieng, secrétaire général adjoint des Nations-Unies et Conseiller spécial pour la prévention du génocide, a écrit à ses «chers compatriotes» pour inviter les uns et les autres à la retenue.
 
Révélant d’emblée qu’il a longtemps résisté à la tentation de s’exprimer sur un «débat» qui, selon lui, aurait pour origine l’expression libre d’un citoyen sénégalais, Adama Dieng note qu’il a finalement cédé, pour inviter les uns et les autres à la retenue. «Comment ne pas s’émouvoir face à un discours incendiaire qui se propage à travers les médias sociaux, un discours qui n’honore pas notre pays qui a toujours été cité comme modèle de gestion constructive de la diversité ? L’esprit d’ouverture, de tolérance, et mieux encore le respect de l’autre dans sa différence, sont jusqu‘ici la marque de notre génie. C’est ce génie qui nous a assuré la stabilité et la cohésion tant vantées», rappelle le secrétaire général adjoint des Nations-Unies, qui révèle avoir pu relever, à l’occasion de rencontres internationales, le respect dont jouissait notre pays auprès des leaders religieux, toutes religions confondues.
«Le Sénégal n’est-il pas l’unique pays au monde, à dominante musulmane, à avoir été dirigé pendant près de vingt ans par un chrétien, Léopold Sédar Senghor ? Le Sénégal, le seul pays au monde qui ait compté au sein d’une même famille un Cardinal et un Imam ! Le Sénégal, un pays où les fondateurs des confréries musulmanes sont reconnus comme des soufis, des ‘’djihadistes’’ de la paix ! Nous ne nous prévalons et ne nous honorons de cet héritage que parce qu’il nous sert par ailleurs de boussole», explique Adama Dieng, qui invite ses compatriotes à se garder de croire qu’il existe un seul pays au monde qui soit immune d’atrocités criminelles et que ce pays se nommerait le Sénégal.
«Un tel pays n’existe pas et les atrocités criminelles n’arrivent pas, en général, de manière soudaine ou spontanée. Elles sont le résultat d’un processus qui requiert du temps et nous devons, dès lors, utiliser ce temps-là pour agir face aux signaux d’alerte», explique le Conseiller spécial pour la prévention du génocide.
Fort d’un parcours de plus de 35 ans à travers le monde et au service de la paix, des droits de l’Homme, de la primauté du droit, témoin impuissant d’atrocités sur le théâtre des conflits, l’auteur a toute la légitimité pour rappeler les dangers du discours de haine et d’incitation. Pour lui, si le droit à la liberté d’expression est protégé par le droit international, le discours qui constitue une incitation à la violence est tout autant interdit.
«L’Etat sénégalais a la responsabilité première de prévenir l’incitation et de protéger ses populations face aux atrocités criminelles. Toutefois, nous sommes tous solidairement responsables pour faire cesser le discours de haine et la violence qu’il engendre et encourage. A cet égard, les leaders religieux sénégalais peuvent jouer un rôle éminent auprès de leurs disciples pour que cessent les discours haineux, on ne peut plus récurrent, hélas, à travers les médias sociaux. Il urge aussi que les responsables des médias traditionnels exercent la plus grande vigilance pour ne pas se prêter au jeu des apprentis sorciers qui ne mesurent pas le risque qu’ils font courir à notre cohésion nationale», dit-il, exprimant toute sa fierté «d’appartenir à un peuple réputé pacifique, un peuple généreux et un peuple ouvert au monde».
Ainsi rappelle-t-il le plan d’action des leaders religieux lancé à New York, le 14 juillet 2017, sous la présidence de Antonio Guterres, secrétaire général des Nations-Unies, disant que ce plan était l’aboutissement d’un processus entamé à Fès, cité spirituelle, en avril 2015.
Ayant grandi à l’ombre de Thierno Seydou Nourou Tall et inspiré par Serigne Cheikh Mbacké Gaïndé Fatma, Adama Dieng déclare avoir initié ce processus en engageant le dialogue avec les leaders religieux. « Ma conviction demeure intacte que le succès engrangé par mon initiative a été, en partie, dû au fait que je viens du pays de Oumar Foutihou Tall, de Khadimou Rassoul, de Mawdo Malick, de Hyacinthe Thiandoum et tant d’autres leaders et acteurs qui ont marqué de leur empreinte la vie spirituelle de notre beau pays», dit-il, invitant tous les Sénégalais à tourner définitivement la page de ce «débat» et à s’accorder réciproquement le pardon.
Sidy Djimby NDAO

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