Même s’il ne souhaite pas que Macky Sall aille jusque-là, au risque d’un nouveau 23 juin, le professeur Abdoulaye Dièye note qu’avec la possibilité de demander un avis au Conseil constitutionnel et le fait que l’avis de celui-ci soit une décision, le chef de l’Etat peut bien avoir un 3èmemandat si les «7 sages» disent oui. Le constitutionnaliste, qui était hier l’invité de l’émission «Objection» sur Sud Fm, est également inquiet de la suppression du poste de Premier ministre. Ce qui, à son avis, va casser le mécanisme de contrôle entre les pouvoirs et plonger le pays dans un présidentialisme fort, avec en plus un Président trop chargé.
Le débat déjà lancé sur un éventuel 3èmemandat de Macky Sall ne rassure pas du tout le professeur Abdoulaye Dièye. Et pour cause, il pense qu’il y a bien possibilité de légitimer ce mandat par le Conseil Constitutionnel. «Le droit constitutionnel, c'est ce que la loi prévoit et que le juge constitutionnel dit qu'elle est», soutient le constitutionnaliste. Qui invite à surtout s’arrêter sur la seconde portion de la phrase qu’il a citée. «Si on oublie cette deuxième phrase là, on peut dormir tranquille en disant qu’il n'y a pas de problème. Mais n'oublions pas qu'on a mis en place un procédé qui consiste à demander l'avis du Conseil constitutionnel et ce qu'il va dire va être la décision», note-t-il. Pour lui, tout est dans cette possibilité du chef de l’Etat de demander l’avis du Conseil. En clair, si le moment venu, Macky Sall demande aux «7 sages» s’il peut faire un 3èmemandat et que ces derniers disent oui, il pourra y prétendre légalement. «Si jamais demain, par une pression ou une influence quelconque, il (le Président Macky Sall) se mettait à dire qu'il va demander au Conseil constitutionnel si c'est son dernier mandat, il va faire un troisième mandat», affirme le juriste.
«Le Conseil constitutionnel avait clairement dit que le mandat en cours (de 7 ans) est hors de portée de la loi nouvelle (la réforme de la constitution de 2016)».
Le Pr Abdoulaye Dièye ajoute que «ce que le Conseil constitutionnel dit dans le considérant 30 de sa décision est très clair : ‘le mandat en cours (de 7 ans) est hors de portée de la loi nouvelle (la réforme de la constitution de 2016)». Aussi se demande-t-il : «est-ce que le Conseil va se dédire ?». Ses propos renvoyant plus à une réponse négative, l’universitaire est convaincu que la seule manière de faire que le débat actuel n’ait «aucun sens», est que Macky Sall lui-même «n'écoute pas ceux qui commencent déjà à dire que c'est possible» et qu’il passe la main le moment venu en disant : «je m'en vais, il n'y a pas de tergiversations». Et cela est d’autant plus important, insiste-t-il, que le Sénégal n’a «pas besoin d'avoir un second 23-Juin», ce à quoi conduirait très probablement une velléité de briguer un autre mandat.
Le Sénégal va «dangereusement vers un présidentialisme fort»
Plus qu’avec le 3èmemandat, le professeur Dièye ne cache pas son «inquiétude» pour la suppression du poste de Premier ministre. Il redoute que cela mène «dangereusement» le pays à un «présidentialisme fort», avec la double conséquence, qu’il n’y aura «plus de mécanismes de sortie de crise entre les pouvoirs et plus de principe de révocabilité institutionnelle». Citant Montesquieu qui disait : «le pouvoir arrête le pouvoir»., il fait remarquer que cette assertion n’aura plus de sens au Sénégal. Et pour cause le président de la République n’aura plus le pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale, comme celle-ci ne pourra pas contrôler l’action du gouvernement, encore moins avoir le pouvoir de prendre une motion de censure. En somme, pour lui, dans un tel système, «le président de la République ne peut rien contre le Parlement et ce dernier aussi ne peut rien contre l'Exécutif». En outre, il note qu’avec cette réforme, le chef de l’Etat va prendre toutes les charges dévolues auparavant au Premier ministre. Et ce sera «très lourd et risque d'être compliqué» pour Macky Sall. Et pour ceux qui légitiment cette décision par les précédents (1962 et 1983) en la matière, le professeur de droit souligne que «les contextes ne sont pas les mêmes». En 1963, à la sortie de la crise de 1962 avec l'emprisonnement de Mamadou Dia, Senghor ne voulait plus du bicéphalisme à la tête de l'Exécutif. En 1983, Diouf venait d'être élu et avait besoin d'asseoir son pouvoir pour éviter un quelconque dauphinat. Or, là, dit-il, «on n'a, à un aucun moment, senti que le Président Macky Sall est gêné par son Premier ministre».
Mbaye THIANDOUM