LE LUTTEUR « L’AN 2000 » CHARGE LE MONDE DE LA LUTTE ET DIT SES 4 VÉRITÉS : « Beaucoup de lutteurs sont des poltrons et des promoteurs de faux types »




 
 
 
14 victoires et 3 défaites, c’est le palmarès du lutteur Fallou Ndiaye plus connu sous le sobriquet « L’an 2000 ». Un surnom qui n’est pas anodin, puisqu’il a commencé la lutte en 2000. Trouvé dans une salle de sport, l’homme ne cache pas sa désolation quant à l’état actuel de la discipline. Il lance d’ailleurs des piques acerbes à ses collègues qui refusent de l’affronter, mais aussi aux promoteurs.
 
 
 
Les Echos : Pour la jeune génération, est-ce que vous pouvez revenir sur vos débuts dans la lutte ?
 
 
 
L’An 2000 : Je suis né à Joal. J’ai commencé à lutter en 2000 dans les régions, mais aussi dans la capitale. C’est là que j’ai commencé à progresser. J’ai combattu avec de grands noms dans la lutte sans frappe (mbapatt) comme Pakala, Youssou Ndour, Paul Maurice, Laye Njomboor… En ce moment, ils étaient tous jeunes et ils parlaient comme si j’étais leur grand-frère. J’ai eu à terrasser presque l’ensemble des lutteurs que j’ai cités. Notre génération était composée de Gris Bordeaux ou Eumeu Sène qui ont bien réussi dans la lutte avec frappe.
 
 
 
Pourquoi avez-vous du mal à trouver un adversaire ?  
 
J’ai eu 17 combats, 14 victoires et 3 défaites. J’aurais pu être à 30 combats, mais les années blanches successives ont un peu plombé ma carrière. Souvent, des lutteurs se montraient poltrons et n’osaient pas m’affronter ; en plus il y a des promoteurs qui ne savent pas organiser des combats de lutte, te proposant des adversaires qui te sont inférieurs. Raison pour laquelle beaucoup d’amateurs ont quitté le monde de la lutte. D’ailleurs, nous remarquons lors des combats que c’est plus les tribunes réservées aux supporters qui sont remplies. Tel n’est pas le cas de la tribune des amateurs. Ils sont nombreux les lutteurs qui peuvent m’affronter. Déjà il y a le lutteur Franc, Gris 2, Moussa Ndoye, Pointe ou Jackson. Le souci, c’est que c’est difficile de lutter avec moi. Je ne suis pas facile à terrasser. Je ne lutte pas pour de l’argent, mais plus par passion parce que ce que nous faisons, c’est de la culture et c’est de l’histoire. Ce qui m’intéresse le plus, c’est ma carrière dans le monde de la lutte. Même les promoteurs doivent être des gens de valeur, mais pas des poltrons ou encore de faux types.
 
 
 
Quelle analyse faites-vous de la lutte actuellement ?
 
 
 
La lutte n’est plus ce qu’elle était, parce qu’il y a trop de politique maintenant. Il y a des lutteurs qui sont des politiciens et ils ont contribué à l’effondrement de la lutte. Alors que c’est un sport comme le football ou le basket ; tu peux certes avoir un candidat ou soutenir un politicien, mais que cela soit personnel. Depuis que certains lutteurs ont commencé à s’afficher avec certains politiciens, la lutte a complètement changé. La preuve, ceux qui soutenaient la lutte comme les sponsors n’investissent plus comme avant. Même le gouvernement a pris du recul par rapport à leurs engagements. En effet, si tu n’es pas avec le gouvernement ou si tu ne parraines pas les combats, tu n’auras pas de soutien. Ce qui est grave, c’est qu’aujourd’hui les promoteurs peuvent te payer un million, mais le cachet est composé de 500.000 francs en espèces et les 500.000 francs qui reste, c’est sous forme de tickets que le lutteur doit écouler auprès de ses supporters.  
 
 
 
Quelles sont vos activités ?
 
 
 
Je suis actuellement au niveau du Centre des œuvres universitaires de Dakar. Je salue au passage le chargé de protocole du Directeur du Coud, Massamba Thiaw. Je lui ai dit que nous sommes des jeunes et nous sommes en train de servir au sein du Coud mais ce n’est pas ce que l’on espérait. Les manifestations du mois de juin se sont déroulées sous nos yeux. Nous nous sommes battus pour sécuriser le Coud. Alors que jusqu’à présent, nous ne sommes pas embauchés. Nous avons juste des contrats temporaires. Il y a des gens qui ne servent à rien là-bas et qui sont pourtant embauchés. L’Etat doit penser à la jeunesse du pays. Les jeunes sont là et veulent travailler. Si les jeunes prennent la pirogue pour aller en Europe c’est parce qu’ils ne trouvent pas de travail au Sénégal.
 
 
 
Nous avons remarqué beaucoup de combats qui sont renvoyés pour cause de blessure ou autre. Que pensez-vous de cette situation ?
 
Je parle en tant que professionnel, mais je trouve que les lutteurs ne s'entraînent pas bien. Raison pour laquelle il y a des blessures. Tu ne peux pas encaisser l’avance d’un promoteur depuis des mois et être incapable de lutter. Mes collègues ne doivent pas se limiter à la musculation dans les salles. Il faut recruter un professionnel qui puisse te suivre durant tes séances d'entraînement, comme le font les boxeurs. Mais les lutteurs dépensent beaucoup d’argent dans le mystique. Je ne dis pas qu’un lutteur ne doit pas se blesser, mais cela doit être rare. Ce n’est pas du professionnalisme alors que tu as encaisser beaucoup d’argent. Par exemple, Gris Bordeaux, j’ai écouté les arguments de son staff et ce que Katy a dit, c’est vrai ; il ne peut être prêt physiquement par rapport à son âge, parce que le temps est très court. Pour Ama Baldé, il ne doit pas être inquiété par les blessures parce qu’il est jeune. En plus, les Pikinois fondent beaucoup d’espoir sur lui. Il doit chercher des professionnels qui vont l’aider à s’améliorer sur tous les plans. Pour Balla Gaye, je pense que le fait qu’il ait perdu contre Boy Niang a beaucoup joué sur le plan psychologique. Il n’est pas encore prêt.
 
 
 
Comment analysez-vous l’affaire des lutteurs qui étaient à l’audience du président de la République ?
 
 
Si le chef de l’Etat t’appelle tu dois y aller. Mais une fois sur place, tu dois parler pour la jeunesse, parler aussi des problèmes de la lutte. Ce qu’il faut, c’est une carrière sportive pleine de surprises. Tu peux te blesser et c’est fini pour ta carrière. Ou bien des lutteurs comme moi qui ont beaucoup donné, mais qui peinent à joindre les deux bouts. Je suis un lutteur avec mon palmarès, mais je n’ai pas d’argent. Je suis un ancien international et j’ai ma médaille d’or dans la catégorie 100 kilos. Donc il faut dire au président de la République ce que nous vivons afin qu’il se penche sur la réinsertion des lutteurs dans la vie active une fois que nous mettons un terme à nos carrières. Nous ne devons pas aller en Europe à la fin de notre carrière, mais nous devons faire valoir notre savoir-faire pour le Sénégal.
 
 
 
Entretien réalisé par Samba THIAM et Cheikh Tidiane NDIAYE
 
 
LES ECHOS

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