C’est parti pour trois mois de travaux aux allures de séance d’exorcisme des goulots d’étranglements du secteur des médias. En effet, lors du lancement des assises des médias, hier, les acteurs, aussi bien journalistes, éditeurs et diffuseurs de presse, ont étalé leur mal vivre en attendant des solutions pérennes à ces maux qui durent et perdurent.
Face aux multiples maux qui gangrènent la presse sénégalaise, les acteurs, à travers la Coordination des associations de presse (Cap), ont initié les assises des médias pour se pencher sur le devenir de cette profession. Pendant trois mois, les six commissions mises en place à cet effet vont creuser les sillons d’où vont germer une presse viable, fiable et responsable. Le top départ des travaux a été donné hier lors de la cérémonie de lancement présidée par le ministre de la Communication, Moussa Bocar Thiam, à la Maison de la presse Babacar Touré. «Les crises séquentielles auxquelles nous assistons, les brimades, les arrestations, les emprisonnements, la précarité des jeunes reporters et des jeunes travailleurs des médias, le stress des fins de mois que vivent les patrons de presse honnêtes, l’incertitude sociale dans laquelle baignent les journalistes et les techniciens, la précarité organisée, tout ce cocktail pestilentiel mérite qu’on s’arrête, qu’on se regarde les yeux dans les yeux, qu’on pointe du doigt les manquements ou les obsolescences de notre cadre, qu’on imagine des solutions pérennes et structurelles pour que les médias au Sénégal redeviennent ce qu’ils ne devraient jamais cesser d’être, si chacun faisait sa part de mission en toute honnêteté et en toute responsabilité», constate d’emblée le secrétaire général du Synpics Bamba Kassé.
La presse en situation de quasi faillite
Même son de cloche chez le président du Cdeps, Mamadou Ibra Kane, persuadé que la situation des médias au Sénégal pose problème. «Le premier problème est économique. Aujourd’hui, la presse sénégalaise est en situation de quasi faillite depuis la crise sanitaire du Covid-19, ensuite la guerre en Ukraine et les manifestations publiques ; une perte cumulée de son chiffre d'affaires de près de 70%», indique le patron des éditeurs et diffuseurs de presse qui invite ses pairs à revoir le «problème économique» de la presse sénégalaise en vue de rentabiliser la marchandise qu’est l’information au profit des entreprises qui la fabriquent.
Face à ces difficultés économiques qui tenaillent le secteur, il préconise la mutation technologique de la presse sénégalaise. «C’est tous les travailleurs du secteur des médias qui sont confrontés à des difficultés ; soit les salaires ne sont plus payés ; soit il n’y a plus de cotisations sociales ou de couverture médicale», tranche le président du Cdeps.
Absa Hanne étale la précarité des jeunes reporters
Venue porter la voix des jeunes reporters, la journaliste Absa Hanne entrevoit des lendemains meilleurs au terme de ces assises des médias. «Nous sommes souriants, nous transmettons la joie de vivre et l’information, mais pour la majorité d’entre nous, nous vivons dans une précarité totale. Notre professionnalisme et notre dignité ne nous permettent pas de nous plaindre en permanence, mais nous ne récoltons pratiquement rien des graines que nous semons», fulmine d’emblée la jeune reporter, avant de poursuivre : «dans certaines rédactions, pas toutes bien heureusement, les jeunes reporters sont soumis à des stages interminables, nous ne bénéficions ni de prime de transport, ni d’indemnités pour l’alimentation, un salaire n’en parlons même pas. Et ceux d’entre nous qui en perçoivent sont sous payés par rapport aux immenses tâches que nous faisons quotidiennement», dit-elle. Elle compte également sur les assises nationales des médias pour le respect de la loi portant encadrement des stages ; qu’un terme soit mis aux contrats de prestation dans le monde de la presse ; l’amélioration des conditions de travail des Journalistes correspondants qui sont la plupart des pigistes ; etc.
Mamadou Thior : «la presse est tellement sérieuse qu’il ne faut pas laisser n’importe qui créer son support»
De l’avis du patron du Cored, la presse est envahie par des personnes poursuivant des objectifs inavoués, des non professionnels qui dirigent des rédactions avec toutes les dérives qui peuvent en découler. «La facilité avec laquelle on crée un site en ligne ou un quotidien fait beaucoup de tort à cette profession. La presse est tellement sérieuse qu’il ne faut pas laisser n’importe qui créer son support. C’est bien de créer un média, mais pas pour en faire un moyen de pression comme c’est la tendance générale de nos jours. Il est temps de mettre des noms sur les vrais propriétaires des différents supports médiatiques. A ce titre, le ministre de tutelle, le régulateur et l’autorégulateur doivent ensemble y travailler afin de savoir qui est qui», fait remarquer Mamadou Thior.
Babacar Diagne : «le public de plus en plus jeune semble privilégier le fast-food informationnel»
Le président du Cnra pour sa part s’est réjoui des questions qui seront soulevées lors des assises qui, à l’en croire, intéressent le développement de la profession. «Nous savons que les nouveaux médias devenus une réalité incontournable ne vous facilitent pas la tâche dans votre mission de diffusion de contenu. Les médias dits traditionnels sont quotidiennement bousculés dans leurs offres d’information utiles et d’intérêt public. Quand vous vous souciez d’éthique et de déontologie, le public de plus en plus jeune semble privilégier le fast-food informationnel sans discernement de ce qui relève de la rumeur, de la manipulation, de la désinformation ou du discours de haine», explique Babacar Diagne qui, face aux crises multiformes auxquelles le secteur de la presse est confronté, invite à trouver des solutions.
M. CISS