Après 337 jours de détention, c’est seulement hier que Khalifa Sall s’est véritablement exprimé sur le fond du dossier. Le maire de Dakar, qui s’est largement prononcé sur le pourquoi de ses ennuis avec la justice, a été invité par le juge à s’expliquer sur les infractions pour lesquelles il est poursuivi, notamment l’association de malfaiteurs, le détournement de deniers publics, l’escroquerie portant sur des deniers publics et le blanchiment de capitaux. Après lui avoir notifié toutes ces infractions, le juge Malick Lamotte lui a demandé s’il reconnaissait les faits. «Je les conteste», a répondu fermement Khalifa Sall, la voix un peu cassée. Le juge Lamotte interpelle alors le maire de Dakar sur des questions précises, notamment le mécanisme qui aboutit à la mise en place du fonds et dont ses collaborateurs ont fait état durant tout l’interrogatoire du lundi. A cette question, Khalifa Sall a répondu succinctement : «je suis ordonnateur, je n’interviens qu’au moment de l’ordonnancement». Le juge de revenir à la charge pour lui demander d’expliquer le processus qui aboutit au décaissement, mais le maire de Dakar ne veut pas se hasarder à glisser sur ce terrain. Il réitère ses propos avec un peu plus de précision : «quand on me donne le parapheur, je vise les pièces et je signe le mandat, parce qu’il y a une différence entre viser et signer. Je ne suis pas membre de la commission, donc je ne signe pas de procès-verbal ou de facture, je les vise. Mais je signe le mandat pour permettre au percepteur de payer».
«Si l’Etat n’était pas d’accord, ces fonds n’auraient pas existé plus d’un mois ; ça peut passer une fois mais pas deux»
Le président Lamotte lui demande alors si ce qui se trouve sur les procès-verbaux par rapport au mil et au riz est conforme à la réalité, et Khalifa Sall de répondre : «je n’atteste pas que c’est livré ou pas, ma signature permet juste au percepteur de payer». «Etiez-vous au courant de ce mécanisme ?», renchérit le juge Lamotte. «Je ne peux pas affirmer qu’un tel mécanisme existe. Mes collaborateurs ont validé, je vise ; même s’il y a deux parmi les agents de la commission de réception - qui sont trois- qui signent le procès-verbal, je signe», rétorque encore le maire de Dakar, décidé à camper sur sa position. Revenant encore sur la nature de la caisse, Khalifa Sall déclare : «je ne connais pas de caisse d’avance, ce que je connais, c’est des fonds politiques qui échappent à la réglementation générale en termes de décaissement. Pour les caisses d’avance, de manière générale, on ne paie pas en numéraires. Ce que vous appelez caisse d’avance (il s’adresse au président) c’est différent des caisses d’avance que nous connaissons. Si l’Etat n’était pas d’accord, ces fonds n’auraient pas existé plus d’un mois. Ça peut passer une fois, mais pas deux fois. Je rappelle que ça fait 21 ans que cela existe. Et jusqu’à aujourd’hui, cette caisse n’est pas abrogée, les crédits sont chaque fois votés par le Conseil municipal et approuvés par le préfet», précise encore le maire de Dakar.
«J’ai dit au Président que nous n’allons pas supprimer ces fonds, parce qu’imaginez que dès qu’on a arrêté, on a eu un mort»
Khalifa Sall poursuit alors ses explications, visant cette fois le président de la République : «j’ai dit au Président que nous n’allons pas supprimer ces fonds, parce qu’imaginez que dès qu’on a arrêté, on a eu un mort». Il revient sur les signatures : «aujourd’hui, je ne suis pas à la mairie et pourtant, chaque deux jours, mes collaborateurs m’amènent des documents à signer, on me donne des pièces que je vise et je signe et pourtant, je ne suis pas là-bas. Quelle valeur juridique donnez-vous à cela ?», interpelle-t-il le président. Le juge Malick Lamotte lui rappelle alors que ce n’est pas lui qui parle de caisse d’avance, mais la saisine. Khalifa Sall en convient et retourne à sa place sur invitation du juge. Il sera à la barre aujourd’hui pour répondre aux autres questions venant du procureur de la République, de l’Etat du Sénégal et de ses conseils.
Alassane DRAME