Interdiction du port du voile: silence, l'instituent Sainte Jeannne d'Arc viole...




 
 
Plus de voile à Sainte Jeanne d’arc à la rentrée prochaine ! l’information a fait l’effet d’une bombe, tellement on ne s’y attendait pas dans ce Sénégal, pays par excellence du dialogue islamo-chrétien. Mais, au-delà de cet aspect, la mesure balancée depuis la France est en porte à faux avec les textes qui organisent l’éducation nationale et viole même le règlement intérieur de l’école, qui au Sénégal, autorise le port du voile. 
 
 
 
L’institution scolaire Sainte Jeanne d’arc interdit le port du voile à partir de la rentrée de septembre prochain. L’information est au centre de toutes les discussions, notamment sur les réseaux sociaux. Et la mesure est d’autant plus curieuse qu’on s’y attendait le moins dans un pays comme le Sénégal. 
 
«Le port du voile est autorisé, aux couleurs de l’institution (blanc ou bleu marine)», selon l’article 5.2 du règlement de l’établissement
 
De curieuse, elle passe aussi à illégale, au regard de la législation sur les établissements privés au Sénégal. Et le plus cocasse, la mesure est en contradiction avec les dispositions du règlement intérieur de l’établissement, en vigueur depuis deux ans. En effet, à l’article 5.2, relatif à la tenue vestimentaire, il est clairement indiqué : «La tenue vestimentaire doit être propre, décente, respectant les règles d’hygiène et de pudeur par respect pour autrui. La coiffure doit rester discrète et soignée. Les chemises doivent être boutonnées, ne laissant ouvert que le bouton du col. Le port du voile est autorisé, aux couleurs de l’institution (blanc ou bleu marine)….». c’est dire qu’en interdisant le voile, l’école viole son proprement règlement. De même l’école se contredit elle-même, en affirmant, dans son communiqué, que la décision d’interdire le port du voile est «conforme à ce qui a toujours été observé dans l’ensemble des établissements de la Congrégation à travers le monde (57 pays) et en particulier dans la province de l’Afrique de l’Ouest, composée du Sénégal, du Burkina-Faso, du Niger et du Togo».
«La loi d’orientation de l’Éducation nationale dispose que «L’éducation nationale est laïque»
 
Ce qui n’est rien par rapport à la violation des lois du Sénégal, qui consacrent la laïcité de l’éducation nationale. La loi n°2004-37 du 15 décembre 2004, modifiant et complétant la loi d’orientation de l’Éducation nationale n°91-22 du 16 février 1991, dispose : «L’éducation nationale est laïque» : elle respecte et garantit à tous les niveaux la liberté de conscience des citoyens. Par ailleurs, l’Éducation nationale, sur la base des principes de laïcité de l’Etat, est favorable aux établissements privés susceptibles de dispenser un enseignement religieux», indique l’article 4 de ladite loi. L’article 5 stipule que «l’Éducation nationale est démocratique». Et en ce sens  «elle donne à tous des chances égales de réussite. Elle s’inspire du droit reconnu à tout être humain de recevoir l’instruction et la formation correspondant à ses aptitudes, sans discrimination de sexe, d’origine sociale, de race, d’ethnie, de religion ou de nationalité». Ces dispositions réglementaires sont renforcées par le décret portant conditions d’ouverture et de contrôle des établissements d’enseignement privé. Ledit décret (98-562) donne à l’Etat le pouvoir de définir les programmes et organiser les examens des établissements privés, qui bénéficient aussi de la subvention étatique. Alors comment Sainte Jeanne d’Arc peut être au Sénégal, régie par les lois du Sénégal et vouloir appliquer une décision contraire à ses lois, fut-elle celle de la maison mère, basée en France, dont les réalités sont autres que celles du Sénégal ? Même si la loi n°2004-37 indique par ailleurs que «l’Éducation nationale, sur la base des principes de laïcité de l’Etat, est favorable aux établissements privés susceptibles de dispenser un enseignement religieux», ici il ne s’agit nullement de cela. L’institut Sainte Jeanne d’arc ne dispense pas un enseignement religieux, sans quoi, elle n’accepterait pas des élèves non catholiques. 
Une incongruité au pays du dialogue islamo-chrétien
 
Soit les initiateurs de cette mesure ignorent les réalités interreligieuses sénégalaises, soient ils ne s’en préoccupent pas. Comment interdire le voile (signe distinctif musulman) dans un établissement, alors que le pays composé d’au moins de 95% de musulmans a été dirigé pendant de longue années par un chrétien, adulé, couvé et accompagné par la majorité musulmane ? Comment interdire le port du voile et semer ainsi la stigmatisation et la discrimination au sein d’un groupe de jeunes qui, à l’image de la société sénégalaise entière, ont appris à vivre sans distinction aucune ? Comment interdire le voile dans un établissement, fut-il propriété d’une congrégation catholique, au pays par excellence du dialogue islamo-chrétien ; pays où il est très fréquent de trouver des membres d’une même famille appartenant aux deux obédiences religieuses ? C’est sûr, l’application d‘une telle mesure, avec tout le bruit que cela fait déjà, va sonner une cassure dans la belle harmonie qui marque jusque-là la cohabitation entre musulmans et chrétiens. Vivement que les responsables de l’établissement soient rappelés à l’ordre. On ne peut pas accepter d’être régi par les lois sénégalaises et vouloir appliquer une mesure en contradiction avec ces lois et en plus, en déphasage avec nos traditions et valeurs sociales. En attendant, je suis curieux de voir si on va demander aussi aux bonnes sœurs de l’établissement de ne plus porter de voile. Si ce n’est pas le cas, ce serait pure stigmatisation et discrimination d’une communauté, que rien n’explique.
 
 
 
Mbaye THIANDOUM

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