
Hier lundi, à Dakar, les avocats de Farba Ngom ont organisé une conférence de presse au ton ferme et offensif, pour dénoncer ce qu’ils considèrent comme une «cabale judiciaire» visant leur client. Selon eux, l’ancien député de l’Alliance pour la République (Apr) est victime d’un acharnement politico-judiciaire sans fondement. Face à ce qu’ils qualifient de violations systématiques des droits de la défense et d’instruction orientée à charge, ses avocats ont pris la parole pour alerter l’opinion nationale et internationale. Leur objectif : exposer les nombreuses irrégularités de la procédure et démontrer que leur client fait l’objet d’un ciblage sélectif, dans un contexte où la lutte contre la corruption semble servir de prétexte à des règlements de comptes politiques.
C’est une riposte méthodique, vigoureuse et collective que les avocats de Farba Ngom ont livrée hier mardi à Dakar, lors d’une conférence de presse au ton grave et sans concessions. Le ton était donné dès les premiers mots : il ne s’agissait pas simplement de défendre un client, mais de dénoncer «une dérive judiciaire aux relents politiques, une instrumentalisation de la justice, et une profonde atteinte aux droits fondamentaux». Dans une salle pleine, les robes noires se sont succédé à la tribune pour exposer, article de loi à l’appui, les «incohérences», les «violations de procédure» et le «traitement inégal» dont fait l’objet Farba Ngom.
Me Amadou Sall : «le socle républicain s’est effondré»
Pour Me Amadou Sall, l’affaire Farba Ngom est symptomatique d’un recul inquiétant de l’État de droit au Sénégal. «Nous assistons à l’effondrement du socle républicain sur lequel reposait notre justice. Notre client est privé de sa liberté sur la base d’allégations floues, sans audition préalable, sans confrontation aux faits, ni mise en situation juridique claire.» Il a souligné que ni Farba Ngom ni Seydou Sarr Tahirou ne savent exactement de quoi ils sont accusés. Pire encore, la source supposée des fonds concernés, à savoir le Trésor public, n’a pas été entendue. «Comment peut-on parler d’escroquerie ou de détournement de deniers publics alors que l’organe supposément lésé n’a jamais été consulté ? Le parquet a transformé une simple note de renseignement en acte d’accusation, ce qui est juridiquement inacceptable», a-t-il lancé.
L’ancien ministre de la Justice a insisté sur l’absence de base légale solide dans ce dossier. Il a rappelé que la simple présence d’un nom dans un rapport de la Centif ne saurait valoir inculpation. «Un rapport de renseignement ne saurait être une preuve. Or ici, c’est la seule pièce qui fonde l’ensemble de la procédure. Cela en dit long sur la précipitation et l’arbitraire qui ont entouré cette affaire», a-t-il déclaré.
Me Oumar Youm : «le président de la Centif s’est transformé en procureur»
En ce qui le concerne, Me Oumar Youm a vivement critiqué l’attitude du président de la Centif, qu’il accuse d’avoir outrepassé son rôle en se muant en acteur de poursuites. «Ce que nous avons vu, c’est un président de la Centif qui ne s’est pas limité à son rôle de renseignement financier. Il s’est transformé en procureur, en juge d’instruction, en autorité de poursuite. Ce n’est pas son rôle. Il a instrumentalisé l’institution pour régler des comptes.» Me Youm de dénoncer une dérive institutionnelle qui, selon lui, met en péril l’indépendance de la justice. «La Centif n’est pas un organe judiciaire. Elle collecte des informations, elle alerte. Elle n’a pas à conclure à une culpabilité, ni à orienter les poursuites. Or, ici, elle a rédigé un rapport qui semble avoir été dicté par des intentions politiques. Ce rapport est devenu le socle de toute une procédure, sans aucune autre preuve.»
L’avocat a également souligné le caractère irréaliste de certaines accusations, notamment celles de blanchiment de capitaux à partir de fonds publics. «Comment peut-on blanchir l’argent du Trésor ? Parler de blanchiment ici, c’est une hérésie juridique. Et pourtant, c’est sur cette absurdité que repose toute l’affaire.» Me Youm a ensuite accusé la Centif de partialité sélective. «Pourquoi la Centif ne s’intéresse-t-elle qu’à certains noms ? Pourquoi le rapport vise-t-il Farba Ngom, et pas les véritables acteurs de la chaîne de dépense publique ? Cela nous ramène à une vérité dérangeante : ce dossier n’est pas judiciaire, il est politique.»
Pour Me Oumar Youm, l’affaire est avant tout politique. Il a dénoncé une procédure «commanditée et exécutée» par le pouvoir, visant à neutraliser un acteur politique influent. «Il n’y a pas un dossier judiciaire ici. Il y a une commande politique.»
Il a aussi tenu à expliquer, point par point, la chaîne de dépense publique pour démontrer que Farba Ngom ne pouvait en aucun cas intervenir dans le circuit. «L’engagement, la liquidation, l’ordonnancement et le paiement sont des actes strictement réservés aux comptables publics et à l’administration. Farba Ngom n’a ni signature sur un bon de commande, ni mandat de paiement. Il n’est même pas ordonnateur secondaire», a-t-il insisté. Clôturant son propos, Me Youm a eu une formule qui a marqué l’audience : «l’argent du Trésor ne peut pas être blanchi. Il est déjà blanc.»
Me Abdou Dialy Kane : «une justice à deux vitesses”
Me Abdou Dialy Kane quant à lui s’est insurgé contre les différences de traitement entre les mis en cause dans cette affaire, y voyant la preuve d’une justice partiale. Il a notamment fustigé le rejet du cautionnement proposé par Farba Ngom, malgré la qualité des garanties présentées. «Il a offert des titres fonciers, un gage solide, dans le respect des règles. Pourtant, sa demande a été refusée sans explication cohérente, tandis que celle de Tahirou Sarr a été acceptée.»
L’avocat a également dénoncé les mesures conservatoires prises contre les biens de Farba Ngom, en plein processus de demande de liberté provisoire. «On a délibérément bloqué ses biens au moment même où il les mettait en garantie. C’est une manœuvre pour l’empêcher de sortir, une violation manifeste de ses droits», a-t-il déclaré. Il a ensuite démonté, article par article, les fondements juridiques de l’accusation. «Farba Ngom n’est ni agent public, ni détenteur de fonds publics, ni comptable de fait. Le juge a forcé le droit pour lui coller des charges imaginaires.»
Me Boubacar Cissé : «une affaire née de la parole politique»
Me Boubacar Cissé a, lui, lié directement le déclenchement de l’affaire à une déclaration politique du leader de Pastef. Encore plus préoccupant, Me Cissé met en évidence que la proposition de Farba Ngom de mettre des titres fonciers en garantie a été refusée par le magistrat d'instruction, sous prétexte que ces derniers auraient dû être enregistrés au préalable. Cependant, quelques jours après, ces mêmes titres sont silencieusement saisis par ordonnance, sans que les avocats ne soient prévenus. «On écarte les biens comme non valables, puis on les rentre discrètement. C'est sans précédent», s'exclame l'avocat, faisant référence à une justice à deux vitesses et à une manipulation en secret visant à détruire son client.
Cependant, la dérive ne s'arrête pas ici. M. Cissé proteste contre une campagne d'humiliation de sa famille. « Nous avons débuté avec Farba. Ensuite, son frère, qui est venu de l'étranger pour lui rendre visite, a été interpellé. Nulle part, que ce soit dans le rapport de la Centif ou dans l'acte d'accusation, il n'en est fait mention. «On l'a mis derrière les barreaux…», s'insurge-t-il. L'image est frappante, presque surréaliste. D'autres membres de la famille sont dans le collimateur, et l'avocat craint que les futures victimes soient «ses femmes, ses enfants, sa mère, ses oncles». Selon lui, c'est une entreprise de démolition qui pourrait transformer Agnam en une prison à ciel ouvert.
Ce qui est le plus surprenant, c'est que toutes ces actions préventives – gel des comptes, confiscation de biens – ont été mises en œuvre avant même que Farba Ngom ne soit officiellement accusé ou interrogé. «C'est une transgression claire de la loi. On piétine les textes pour atteindre un homme», souligne fermement Me Cissé. Selon lui, le magistrat instructeur a émis des décisions avant même toute audition, violant ainsi le principe essentiel de la présomption d'innocence.
Sidy Djimby NDAO