Au moment où les membres de l’Unacois, grands pourfendeurs d’Auchan, entament une tournée auprès des familles religieuses pour vilipender le géant français, ils enregistrent un soutien de taille de la part de leurs compatriotes vivant à l’étranger, plus précisément ceux établis en France. Tout de même, il faut noter que même si certains émettent des réserves, la majorité est d’avis qu’il faut protéger le petit commerce.
Le débat sur l’implantation des supermarchés Auchan au Sénégal est très suivi par les Sénégalais de la diaspora en France. A cet effet, les postures, positions et opinions sur la question sont variées et diverses, selon les compatriotes. Là où certains sont catégoriques quant au fait que le géant français n’a pas sa place dans le marché sénégalais, d’autres l’accueillent avec des réserves, pourvu que les populations soient les seules bénéficiaires.
L’une des coiffeuses du salon Lazer Cuts du 10è arrondissement de Paris, Coumba Diop plaide pour la limitation. «Je ne suis pas une nihiliste et je ne rejette pas l’ouverture. Mais, je suis pour qu’on limite le nombre de supermarchés Auchan, afin de permettre aux boutiquiers des quartiers d’exister», a suggéré la coiffeuse originaire de Thiès. Invitée à comparer la qualité et le prix bas proposés par Auchan et ceux des boutiques en question, Coumba Diop balaie d’un revers de main et soutient qu’on ne peut pas oublier que «ce sont ces boutiques qui ont toujours été là pour nous et qui ont facilité la dépense quotidienne à nos parents pour qu’on soit là. Nous avons toujours commercé avec ces boutiques et avons grandi avec elles. On ne peut pas, avec l’arrivée d’Auchan, les jeter en pâture». Elle insiste ainsi sur la réglementation et ne pas les laisser pousser comme des champignons à chaque coin de rue.
«Ici, Auchan n’est pas autorisé à commercialiser tous les produits»
La crainte de Coumba Diop réside dans la possibilité qu’Auchan, après avoir tué le petit commerce, en arrive à imposer ses prix aux populations, qui seront contraintes de les acheter car n’ayant pas d’autre choix. Informée qu’à Auchan on vend du sucre, du lait et autres au détail et même le «madd», Coumba Diop a été interloquée et choquée. «Ah doyna waar», a-t-elle lancé, la main devant la bouche, encore bée. Avant de poursuivre : «ce n’est pas normal du tout. Ici, Auchan n’est pas autorisé à commercialiser tous les produits. Ils sont limités dans leur proposition de produits. Ici, les offres sont diversifiées, de sorte que les gens se rendent d’une boutique à une autre pour se procurer les produits de consommation. La véritable question, c’est d’éclairer même les populations sur le contrat qui a été signé avec Auchan et qui lui permet de faire ce qu’il fait», indique-t-elle.
Il faut protéger le petit commerce, sinon…..
C’est l’avis de la collègue à Coumba Diop. Bineta Guèye, puisque c’est elle dont il s’agit, précise ne pas avoir très bien suivi les débats sur l’implantation d’Auchan au Sénégal. Mais, elle suggère juste que les petits commerces soient protégés. «Même si Auchan doit y être, qu’on ne sacrifie pas les boutiques, qui étaient là avant Auchan, qui ont fait en sorte que le marché soit prospère au point qu’Auchan ait pensé à venir s’implanter», a signalé Bineta Guèye. Comme sa collègue, Bineta évoque également «les relations fraternelles, parentales, et étroites nouées avec les boutiquiers du quartier, qui peuvent nous faire un crédit qu’il nous arrive de payer après des mois».
Non à l’arrivée d’Auchan
Venue faire coiffer son enfant qui pleure chaque fois que la tondeuse vibre au-dessus de sa tête, Khadidiatou Barro renseigne que l’arrivée d’Auchan n’est pas une bonne chose pour notre pays. «Je ne suis pas d’accord avec l’implantation des supermarchés Auchan au Sénégal. Une caissière a invité les Sénégalais à faire attention aux produits qu’ils achètent à Auchan. Elle a révélé que les étiquettes pour vérifier de la qualité des produits sont changées parce que la plupart ont atteint la date de péremption», a rapporté Mme Barro. Avant de dénoncer le fait que cela est la source de la propagation de plusieurs maladies qu’on n’avait jamais connues au Sénégal, devant le mutisme coupable et complice de nos autorités qui ont souvent des intérêts inavoués dans ces structures étrangères.
Comme ses deux compatriotes, qui l’ont précédée, Mme Barro balaie d’un revers de main les critiques adressées aux boutiques des quartiers. Mieux, elle les défend en signalant que ce sont ces boutiques qui ont toujours vendu à nos parents les produits qui ont permis notre croissance jusqu’à aujourd’hui. «Et le plus important, c’est qu’avec ces boutiques, nous avons toujours vécu en communauté. Les commerçants nous dépannent, nous font du crédit. Même nous qui sommes à l’étranger et qui tardons parfois à envoyer de l’argent au pays pour appuyer ou contribuer aux dépenses de la famille, les boutiquiers nous viennent en aide. Cela, Auchan ne le fait pas ici. Il ne le fera pas au Sénégal. Pour un début, il va faire un dumping et imposer un prix que les Sénégalais seront obligés de payer pour se procurer des produits», a témoigné Mme Barro. Sans manquer de rire sous cape des Sénégalais qui entrent dans les supermarchés pour n’en sortir qu’avec un sachet de chips de 50 F.
«Auchan crée des emplois et propose des produits plus accessibles aux bourses»
De son côté, Babacar Boye, gérant de magasin d’habillement, originaire de Sicap Foire, déclare être un peu divisé. Il commence d’abord par signaler qu’il a entendu dire que les prix proposés par Auchan sont plus accessibles que ceux proposés par les boutiques et que les populations sont plus attirées par cela. «Je ne crois pas qu’Auchan fasse de mauvaises choses. Et il crée des emplois. C’est bien pour nous», a argumenté Babacar Boye. Tout de même, il signale qu’il ne maitrise pas les contours de l’arrivée d’Auchan au Sénégal. Mais, pour clore le débat, il a invité les populations à savoir aller vers la compétition. «Les Sénégalais doivent se regrouper pour mettre en place de grands groupes dans tous les secteurs possibles et essayer de proposer des services plus accessibles que ceux que proposent les étrangers à qui on octroie ces marchés-là. Nous devons évoluer. Depuis belle lurette, on n’a que ces systèmes de boutiques, alors qu’on peut tendre vers des supermarchés pour nous et par nous», a souhaité Babacar Boye.
Son collègue est du même avis. Comme lui, Ibrahima Souaré est partagé quant à l’implantation d’Auchan au Sénégal. Mais à l’en croire, si la création d’emplois peut être un bon point pour le pays, une tentative de monopole du marché en est un très négatif. C’est ainsi qu’il se positionne en défenseur des intérêts des commerçants. «La crainte majeure, c’est que l’arrivée d’Auchan fasse perdre aux petits commerces leurs parts de marché. Donc, c’est à l’Etat de veiller à la loyauté de la concurrence pour qu’aucune partie ne soit lésée et que tout le monde gagne», a défendu M. Souaré, qui n’a pas manqué de saluer la promotion qu’Auchan fait sur les produits locaux sénégalais. Il propose également le renforcement des Pme afin de les rendre plus compétitives.
Les Sénégalais avant tout
Le jeune Lougatois Alioune Badara Guèye estime également que les intérêts des populations sénégalaises doivent primer sur tout, de sorte qu’aucune société étrangère ne puisse les affaiblir. «Sinon, les jeunes vont continuer à braver les eaux méditerranéennes pour rejoindre l’Europe ou s’aventurer vers d’autres horizons avec des lendemains sombres. Nous, qui sommes ici, n’avons pas le choix, sinon on aurait investi chez nous et gagné notre vie chez nous, à côté de nos familles. Je ne comprends pas bien ce débat autour de l’arrivée des supermarchés Auchan, mais ils ne doivent pas porter atteinte à notre économie», a prévenu Alioune Badara Guèye.
Par notre correspondant à Paris
C A S