HOMMAGE A L’ANCIEN PROCUREUR SPECIAL PRES LA HAUTE COUR DE JUSTICE :Le journaliste Amadou Diaw rappelle le réquisitoire courageux d’Ousmane Camara lors du procès de Mamadou Dia et l’installe dans le débat sur l’indépendance de la justice



 
Amadou Diaw,journaliste-réalisateur audiovisuel, a produit un film documentaire intitulé «Ousmane Camara : Carnets secrets d’un juge». En avant-première de ce film, une cérémonie de projection a été organisée samedi dernier au palais de justice. Un endroit bien choisi par l’auteur pour rendre hommage à cet ancien Procureur spécial de la Haute cour de justice qui, lors du procès de Mamadou Dia, Valdiodio Ndiaye et Cie, fit un courageux réquisitoire qui est allé à l’encontre des instructions vouluespar ses supérieurs. Un acte de courage à plus d’un titre que ses cadets doivent prendre comme exemple. Poussant d’illustres personnalités comme l’ancien Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye à demander la réouverture de ce procès. D’autres aspects de la vie de Ousmane Camara (ancien médiateur de la République, ancien ambassadeur, ancien ministre) ont été abordés. Aminata Mbengue Ndiaye, qui présidait la cérémonie, a félicité vivement l’auteur d’avoir permis de revisiter l’histoire du pays.
 
 
 
«Pour son engagement et les services rendus à la nation, cet homme mérite compréhension. Il a commis des fautes et toute faute doit être sanctionnée, sinon nous donnerions raison au législateur athénien Solon, l’un des sept sages de la Grèce antique qui a dit : ‘’les lois sont comme des toiles d’araignées, elles arrêtent les faibles et les petits, les puissants et les riches les brisent et passent au travers’’. Au vu de toutes les fautes commises, innocenter Mamadou Dia, à mon avis, est impossible. Mais je suis intimement convaincu que Mamadou Dia n’a ni préparé ni perpétré un coup d’Etat, mais conscient qu’il a utilisé des moyens illégaux pour une cause juste à ses yeux, je requiers qu’il plaise à la Cour de retenir les fautes commises par l’accusé, mais en lui faisant bénéficier des circonstances atténuantes les plus larges. Je demande l’application des mêmes circonstances atténuantes aux accusés Valdiodio Ndiaye et Joseph Mbaye, je demande la relaxe pure et simple de Ibrahima Sarr et je m’en remets à la Cour en ce qui concerne Alioune Tall», tel a été rappelé samedi dernier, lors de la cérémonie de projection du film documentaire sur Ousmane Camara, le courageux réquisitoire qu’il avait fait, en tant que Procureur Spécial, lors du procès de Mamadou Dia, Valdiodio Ndiaye et autres, pour tentative de coup d’Etat, devant la Haute Cour de justice. 
Amadou Diaw, journaliste-réalisateur audiovisuel et auteur du film documentaire a voulu ainsi rendre hommage au juge Ousmane Camara et la projection était une avant-première de son film documentaire intitulé : «Ousmane Camara : les carnets secrets d’un juge téméraire».
 
 
Isaac Foster, alors Président de la Cour suprême, à Ousmane Camara : «cette robe ne vous appartient pas, ne la salissez pas»
 
 
Dans ce film-documentaire, le juge Ousmane Camara qui fait lui-même un témoignage, a rappelé qu’avant le procès, l’ancien Premier président de la Cour suprême, Isaac Foster, est venu le voir pour lui dire : «cette robe de magistrat ne vous appartient pas, ne la salissez pas». Des mots qui l’ont encouragé et renforcé sa détermination, dans un contexte politique où le Président Senghor voulait se débarrasser d’un adversaire coriace. Des instructions lui avaient été données de requérir la peine maximale, la perpétuité. D’où le courage de Ousmane Camara, alors jeune magistrat qui avait, à la limite, défié l’autorité à ses risques et périls.
Ces réquisitions du Procureur spécial ont constitué certainement un prétexte pour l’auteur du film pour parler de cette question d’indépendance de la justice ou des juges. «Nous revenons aujourd’hui sur la trajectoire d’un homme pour lui rendre hommage :le doyen Ousmane Camara, un homme, juge de profession qui aura tout donné à son pays et qui est fortement attaché aux valeurs et symboles de la République. Mais au-delà, il s’agit de ces milliers de juges, magistrats, qui, pour accomplir leur mission qui est de rendre la justice, protéger le faible contre le fort, ne sont armés que de l’admirable persévérance du chasseur, de l’inébranlable foi du nouveau converti, du magnifique courage du guerrier. Si l’on sait que les actes qu’ils posent ou les décisions qu’ils prennent souvent peuvent être lus sous plusieurs angles, interprétés et commentés à satiété. Dans un contexte pareil, il faut de la hauteur et de la mesure pour savoir raison garder», a dit, en guise d’hommage, le journaliste Amadou Diaw lors de la cérémonie de projection du film-documentaire dans lequel sont intervenus Cheikh Tidiane Coulibaly(Premier président de la Cour suprême) Demba Kandji, ancien Premier (président de la Cour d’appel de Dakar), l’ancien PM Souleymane Ndéné Ndiaye, le journaliste Cheikh Yérim Seck et Ousmane Camara lui-même.
 
 
Un exemple pour la postérité
 
 
Des témoignages ont également été portés à l’endroit du juge Ousmane Camara, lors de cette avant-première présidée par Mme Aminata Mbengue Ndiaye. Parmi eux : Innocence Ntap Ndiaye, Mes Souleymane Ndéné Ndiaye, Doudou Ndoye, un représentant du secrétaire général de l’Ums et Mamadou Ndiéguène qui représentait le bâtonnier. Tous les intervenants ont proposé que ce film documentaire soit montré aux futurs magistrats en formation auCentre de formation judiciaire, mais également aux étudiants à la Faculté des sciences juridiques.
 
Doudou Ndoye et Ousmane Camara
 
Doudou Ndoye, prenant la parole, a demandé à l’auteur du film documentaire d’étoffer son immense travail en fouillant dans les archives de la Rts une vidéo de plus d’une heure qui s’y trouve encore. Alors Garde des Sceaux, ministre de la Justice, il rappelle avoir reçu un coup de fil de Jean Collin qui lui dit que Abdou Diouf avait décidé de nommer Ousmane Camara premier président de la Cour suprême. Il se conforme à l’instruction et Ousmane Camara est nommé au poste. Pour la première fois, un premier président de la Cour suprême est installé de cette manière. Doudou Ndoye rappelle qu’il y avait ce jour-là, tout le gotha dakarois. Et toute la cérémonie a été filmée. «C’est parce que c’est Ousmane Camara», témoigne-t-il. 
 
 
Pour la réouverture du procès de Mamadou Dia
 
 
Me Ndiéguène et Souleymane Ndéné Ndiaye ont demandé la réouverture de ce procès tenu en Mai 1963.
Des témoignages ont eu lieu aussi sur Ousmane Camara ambassadeur, Ousmane Camara chef de famille, Ousmane Camara ministre, Ousmane Camara médiateur. Mais aussi Ousmane Camara premier président de la Cour d’Appel avec des relations parfois «heurtées» avec son ministre de tutelle d’alors Serigne Lamine Diop.
 
 
Ousmane Camara et le ‘’coup fourré’’ de Wade
Lors du procès de Mamadou Dia, le Procureur Spécial avec son fameux réquisitoire avait la même analyse des faits qu’Abdoulaye Wade qui était avocat de la défense. L’ancien Président de la République l’avait même signalé lors de sa plaidoirie. Mais, lorsqu’il a été Premier Président de la Cour Suprême, c’est un autre Abdoulaye Wade qu’il a découvert. Il le dit lui-même dans son témoignage, dans le film documentaire, parlant du coup fourré de l’opposant politique d’alors lors des élections de 1988 : «A l’époque, il n’y avait pas de commission ou autre, c’est la Cour Suprême qui faisait tout.  Sachant que les résultats des élections ne lui seront pas favorables, Abdoulaye Wade a commencé, dès la campagne électorale, à jeter la suspicion sur l’arbitre que j’étais en disant que la Cour Suprême était symbolisée par une personne. Il disait :‘’attention, c’est le copain d’enfance de mon adversaire’’. Ce qui était vrai. Ensuite il disait : ‘’attention, ils ont été ensemble dans le Parti socialiste’’. Ce qui était aussi vrai. Il disait aussi : ‘il l’a nommé ministre et il l’a amené ici à la Cour suprême pour arbitrer’’. Et dès que les résultats ont commencé à tomber, sachant qu’ils ne lui étaient pas favorables il a dit : ‘’voilà ce que je vous disais’’. Et cela a abouti à son arrestation. Il avait dit qu’il avait les procès-verbaux qui établissaient sa victoire et qu’il les avait cachés en lieu sûr à l’étranger. Bien après cela, on avait de très bon rapports et lorsqu’un jour, je lui dis mais Maître tout ce que vous avez dit pendant la campagne sur moi… sa réponse a été celle-ci :‘’Ousmane, tu arbitres un combat où tous les coups sont permis. Ce que je dis, 80% de la population ne me croient pas, mais il y a 20 % qui me croient et cela me suffit pour foutre la pagaille’’». 
 
Alassane DRAME
 
LES ECHOS

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