Près d’une vingtaine de jeunes Sénégalais sont décédés ces dernières années dans les émeutes politiques. Une violence préélectorale qui inquiète et interpelle toutes les couches de la société. Mais, pour Hamady Dieng, il faut relativiser : le Sénégal a toujours connu des martyrs qui sont morts pour leur engagement, pour ce qui leur semblait être la bonne cause, mais la particularité de ce ces derniers événements, c’est que la base de cette violence est des faits divers autour d’une seule personne, alors qu’avant, les gens se battaient pour la survie de la République. Vérités du Directeur général de l’Agence de construction de bâtiments et d’édifices publics et coordonnateur de la Rampe (Rencontre des acteurs pour l’émergence) dans cet entretien.
Les Echos : Vous êtes membre fondateur de l'Apr, mais cela ne vous a pas empêché de former votre propre mouvement, qu'est-ce qui en est l’origine ?
Hamady Dieng : A un certain moment de notre parcours au niveau de l’Apr, après avoir pris le pouvoir en 2012, j’avais des difficultés pour évoluer dans le parti. J’ai discuté avec le Président Macky Sall qui m’a non seulement autorisé à créer le mouvement, mais il m’a aussi accompagné depuis sa mise en place. Depuis lors, nous travaillons pour l’émergence de ce pays. Nous avons beaucoup d’activités sociales.
De grandes figures de l'Apr ont quitté le navire ou simplement gelé leurs activités, qu’est-ce qui explique cela selon vous ?
D’un point de vue du principe, la politique est un éternel renouvellement : quand certains adhèrent d’autres partent. Un parti politique est structuré autour de trois choses : la vision, le programme et la stratégie politique. Il arrive que des membres ne partagent plus l’un de ces points ; c’est donc tout à fait naturel qu’il y ait des départs et des arrivées. Pour l’Apr, il a connu des problèmes spécifiques de structuration. C’est un handicap que j’ai toujours combattu. Mon avis, c’est qu’il est possible de prendre le pouvoir sans avoir une organisation forte, mais pour gérer le pouvoir, un Etat, il faut organiser l’intervention de la force principale qui a œuvré pour la victoire. Les difficultés que nous avons au niveau de l’Apr et de la mouvance présidentielle sont relatives au manque d’organisation et d’encadrement. La plupart des militants posent des actes sans en mesurer les conséquences, parce que l’Ecole du parti, qui était censée, les encadrer est quasiment inexistante. Nous avons délaissé la formation ; chacun s’occupe de ses intérêts crypto personnels.
Les jeunes qui auront l’âge de voter en 2024 avaient 10 ans ou moins en 2012 quand on prenait le pouvoir. C’est donc la première fois qu’ils vont voter à une présidentielle. Qu’avons-nous fait pour ce personnel électoral durant notre gouvernance, politiquement parlant ? Nous aurions pu prendre la peine de les encadrer, les former à adopter notre idéologie. Nous devrions les préparer à comprendre ce que Macky Sall veut pour ce pays. Malheureusement, nous avons laissé en rade toute cette population qui devait assurer le renouvellement du personnel politique. Ce sont tous ces faits cumulés qui constituent aujourd’hui les véritables problèmes de l’Apr. Nous avons certes tenu bon jusque-là mais on perd du terrain progressivement.
Vous voulez dire que le manque d’organisation est le talon d’Achille de l’Apr ?
Dans l’Apr, on laisse faire ; chacun dit ce qu’il veut où il veut. La vérité, c’est qu’il y a des méthodes qui ne marchent pas en politique, même si on gagne des élections avec. Je l’ai toujours décrié, mais personne ne m’a écouté, à commencer par le Président Macky Sall qui doit définir la politique du parti. Il estime que son schéma est bon alors que je trouve qu’il y a énormément d’insuffisances ; c’est pour cela que l’on perd du terrain tous les jours, cela s’effrite de jour en jour. Il nous faut des politiques de maintien, non pas par l’argent, mais plutôt arriver à convaincre les populations que notre vision est la bonne.
Le Sénégal est sujet actuellement à de violentes tensions politiques. Comment analysez-vous la situation ?
Contrairement à certains, je ne suis pas inquiet. Il faut savoir que ça a toujours été comme ça. À chaque veille d’élection, il y a toujours eu des morts dans ce pays ; en 2012, il y a eu 14 morts pour que les gens se ressaisissent. Maintenant, ce qui fait la particularité des événements de 2021 à nos jours, c’est que le problème n’est pas structuré sur la République, comme en 2012, mais la base c’est des faits divers autour d’un individu qui a agi à chaque fois selon sa propre volonté. Des affaires privées que l’on veut transformer en des problèmes d’Etat, c’est là où il y a problème. Nous en avons fait des événements politiques. Et dans cet amalgame, il faut compter les coupables aussi bien du côté de l’opposition que du pouvoir. Les politiciens du pouvoir veulent sauter sur les occasions pour affaiblir un adversaire, ce qui est peut-être légitime, mais il faut que cela soit spécifiquement politique, sans qu’on y mêle l’Etat. Il y a tellement de gens qui sont morts pour leur engagement pour ce pays et des fois même sans qu’on ne le sache. Nous, quand on militait dans la clandestinité, certains étaient amenés de force à l’armée à la suite des grèves et ils ont fini par mourir. Partout où il y a un grand peuple, il y a des gens qui ont payé de leur sang. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas situer les responsabilités. Quand on est porteur de voix, leader politique, on doit savoir raison garder. On ne peut pas appeler les gens au «Mortal kombat» surtout sur des questions crypto personnelles.
La question de la 3e candidature du Président Macky Sall n’est-elle pas aussi source de conflit ?
Il faudrait d’abord que le Président Macky Sall déclare sa candidature pour que cela mérite toute cette attention qu’on veuille porter à la question. D’abord, les gens doivent saisir une chose : il y a une différence entre être candidat et avoir un mandat. Et la constitution parle de mandat. Donc relativisons, il n’y a que le Conseil constitutionnel qui peut valider ou pas sa candidature. Les hommes politiques qui s’agitent savent mieux que quiconque ce qui se joue. Même s’il y a des responsables de l’Apr qui investissent le Président Macky Sall comme candidat de notre parti, il ne l’est pas encore. C’est au congrès de le valider et pour cela, il faudrait qu’il le veuille. En attendant, rien ne vaut cette agitation sur la question.
Ndèye Khady DIOUF