GESTION FONCIERE AUTOUR DE L’AEROPORT INTERNATIONAL BLAISE DIAGNE: La mairie de Diass s’empare de 55ha au village de Boukhou sur la base d’une délibération douteuse et en violation du Code de l’urbanisme



 
 
Le 20 juillet 2016, la mairie de Diass a lancé un projet de lotissement sur un site de 55 ha entre l’Aibd et le village de Boukhou. Un lotissement rejeté par les populations réunies autour d’un collectif et qui dénoncent l’irrégularité du processus. Le bras de fer dure depuis deux ans et aujourd’hui, le dossier est pendant devant la justice, après une saisine du collectif.
 
Le vendredi 18 juin 2016, après la prière (de 14h), le promoteur immobilier Mamadou Cledor Fall (administrateur de la société immobilière sénégalo-italienne «Diarra Sarl», sise à Liberté 6, Dakar, Sénégal), introduit par le chef de village, annonce aux populations de Boukhou que le site de 55ha, entre le village et l’Aéroport, lui appartient désormais et qu’il a tous les papiers administratifs attestant de cela. Mais, invité à fournir lesdits papiers justificatifs par les populations, il n’a pas pu les fournir. Alors que les populations cherchaient à comprendre, s’organisaient pour faire face et réclamaient de comptes à la mairie et au promoteur, le 20 juillet 2016, les travaux de terrassement démarrent, après le sacrifice d’un taureau sur le site, en présence du 1eradjoint au maire, du chef de village. Le 24 juillet 2016, les populations mettent en place un collectif pour lutter contre le projet. EIles commettent un avocat qui saisit les autorités compétentes et obtient l’arrêt des travaux arrêtés le 24 août 2016. Un long bras de fer commence. «Ni le maire, ni ses conseillers n’étaient en mesure de donner des réponses justes, cohérentes et convaincantes par rapport à nos interpellations. C’est pourquoi on s’est opposé au lotissement. Surtout qu’on a eu, par la suite, des informations selon lesquelles la procédure n’a pas été respecté», explique Aliou Faye, un des principaux responsables du collectif des populations. 
 
 
Deux délibérations sur un même sujet, datées du même jour, mais avec des contenus différents et des différences frappantes sur les signatures et les cachets
 
Pour le même projet de lotissement, il y a deux délibérations, portant le même numéro et la même date, mais avec des contenus différents. La délibération n°04/CD du 12 août 2015 dit, dans l’article 1 du premier document, que «le maire est autorisé à procéder au lotissement de Boukhou et Packy pour une superficie de 55 ha» et dans le second document, le même article premier dit : «le maire est autorisé à procéder au lotissement et à la restructuration de Boukhou et Packy pour une superficie de 55 ha». En plus de cela, sur les deux documents, il y a des différences manifestes sur les signatures (du maire et du sous-préfet), les polices d’écriture et les cachets. Des incohérences qui mettent en cause l’originalité et la légalité des documents. «Les deux délibérations de la mairie, approuvées par le sous-préfet avec le même numéro et des contenus différents, laissent penser à un faux en écriture publique authentique, par le procédé de falsification qui est une entorse à la loi», note Aliou Faye du collectif.
 
Une délibération sur 55ha à Boukhou n’a jamais été examinée en réunion du Conseil municipal
 
«Nous avons saisi un nombre important de conseillers qui nous ont dit qu’ils n’ont pas participé à une rencontre du Conseil municipal où une telle délibération a été faite», soutient Aliou Faye. 
Nous-même avons interrogé trois conseillers qui nous ont assuré que le Conseil municipal n’a jamais fait cette délibération, à leur connaissance. Ils en veulent pour preuve même, la convocation à cette réunion du 12 août 2015, où, à l’ordre du jour, ne figure nullement cette délibération portant sur 55ha à Boukhou. Souleymane Faye, le seul parmi les trois conseillers à accepter d’être cité dans l’enquête (les deux autres pour des raisons personnelles ne souhaitent pas être cités), a précisé avoir personnellement interpellé le maire sur la question et informé les autorités locales et de tutelle. «C’est une délibération qui n’a jamais été examinée en Conseil municipal. Et je l’ai dénoncé par lettre aux autorités et à l’Inspection du ministère de la Gouvernance locale, qui nous a entendus en août 2017», nous dit-il. 
Sur la lettre adressée au maire de la commune de Diass, avec ampliations au ministre de la Gouvernance locale et au sous-préfet de l’arrondissement de Sindia, il est écrit : «Un autre problème est venu s’ajouter aux travaux de l’Aibd, c’est le lotissement de 55ha prévu à Boukhou et Packy. Ce lotissement est fortement contesté par les habitants de Boukhou. (…). Pour notre part, nous avons été surpris d’apprendre que ce lotissement a fait l’objet d’une délibération n°4 du Conseil municipal en sa séance du 12 août 2015. Or, pour cette séance, comme indiqué dans la convocation que nous avons jointe, il n’est nullement mentionné l’examen de cette question. Ainsi, vous voudrez bien nous expliquer comment cette délibération a été initiée. Par cette présente, nous déclinons toute notre responsabilité sur les conséquences de cette délibération de lotissement de 55 hectares à Boukhou et Packy et nous allons user de tout ce que nous donne la loi pour contester cette délibération». La lettre est signée par quatre conseillers (Souleymane Faye, Pape Malick Pouye, Khady Diop et Alassane Ndiaye).
 
Pourquoi il y a deux documents pour une seule délibération, selon Mamadou Diouf, président de la Commission urbanisme et habitat de la commune de Diass
 
Interpellé sur le fait qu’il y ait deux documents pour une seule délibération, le président de la Commission urbanisme et habitat de la mairie de Diass, qui ne souhaitait «plus s’exprimer sur le sujet», a fini par accepter de nous parler, après un premier déplacement infructueux à son bureau, à la mairie. «En réalité, il n’y a pas deux délibérations. Ce qui s’est passé, c’est que quand nous sommes allés déposés le dossier à la préfecture, le préfet nous a dit qu’on ne pouvait pas mettre les termes lotissement et restructuration, parce que la restructuration suppose qu’il s’agisse d’un site déjà habité. Or ce n’est pas le cas ici. C’est ce qui fait que sur l’un des documents, il y a lotissement et sur l’autre, lotissement et restructuration», dit-il.
Par rapport à la contestation de l’effectivité de la délibération, sa réponse est laconique. «La délibération a bel et bien été faite et le préfet nous a réclamé jusqu’au Pv de la réunion. S’il n’y a pas de délibération, il ne peut pas y avoir de lotissement. On ne peut pas corrompre le sous-préfet et le préfet, qui contrôlent tout», lance-t-il. Mais il n’explique pas comment le Conseil a pu délibérer sur un point aussi important, mais qui curieusement n’était même pas à l’ordre du jour de la réunion.
 
La mairie et le promoteur font miroiter une cité immobilière avec des avantages pour les populations locales, et passent sous silence un protocole signé entre eux et consacrant le partage des 1 334 parcelles du lotissement entre les deux parties
 
Selon le procès-verbal n° 0630/GRT, du 2 mars 2016, de la Commission régionale d’urbanisme, qui a examiné la question à sa séance de la date indiquée ci-haut, il ne s’agissait pas de la construction d’une cité immobilière, mais juste d’un «lotissement d’un terrain à usage d’habitation sis à Boukhou, dans la commune de Diass», en deux lots A et B. Le lot A couvre 23ha et le lot B, 32ha, d’où un total de 55ha. Dans le lot A, il y a 598 parcelles et 16 réserves d’équipements, tandis que le lot B contient 736 parcelles et 21 réserves d’équipements sociaux. Soit au total, 1334 parcelles et 27 réserves d’équipements. 
Et pour les responsables de la société Diarra Sarl, il n’a jamais été question de projet de construction de cité. Son administrateur Mamadou Cledor Fall, que nous n’avons pu joindre ou rencontrer en personne, malgré plusieurs tentatives, car n’ayant jamais répondu à nos nombreux appels et messages, nous a finalement parlé par l’intermédiaire d’un de ses collaborateurs, que nous avons pu joindre, et qui s’est présenté à nous comme étant Monsieur Ndoye. «J’ai transmis votre message à Monsieur Fall. On vient de se parler. Il m’a chargé de vous demander de vous rapprocher de la mairie de Diass. Tous les documents sont là-bas. Vous savez, en matière de lotissement, selon le Code de l’urbanisme, la collectivité locale est responsable. Nous, nous ne sommes que des accompagnateurs. Tout ce qui se fait, c’est par le biais de la collectivité locale», a rapporté M. Ndoye. Il ajoute pour évacuer toute idée de construction de cité : «Nous avons signé un protocole avec la mairie. Nous devons faire le terrassement et la viabilisation. Et comme ça se fait partout, nous avons notre quota et la mairie a son quota (de parcelles)».
 
Le président de la Commission urbanisme et habitat de la mairie confirme l’existence du protocole
 
Interrogé sur l’existence dudit protocole, Mamadou Diouf confirme. «On a signé une convention avec la société immobilière. C’est elle qui va faire tous les travaux. Et si vous allez sur le site, vous allez vous rendre compte que c’est un énorme travail. Est-ce que ceux qui contestent vous ont dit que le site faisait partie de la forêt classée ? On a pu le déclasser grâce à l’entregent du promoteur, qui a fait jouer ses relations. Il a même payé de sa propre poche 11 millions (11,5 millions selon d’autres sources) aux Eaux et forêts pour les arbres qui étaient sur le site. Il a beaucoup investi sur le site. Naturellement, nous ne pouvons pas le payer en argent comptant. Il a un quota de parcelles», avoue-t-il.
 
Le protocole entre la mairie et la société Diarra Sarl, pas soumis au Conseil municipal
 
Pour le conseiller Souleymane Faye, ce protocole que lui-même, en tant que conseiller, n’a jamais vu, «n’a pas été soumis au Conseil municipal, alors que c’est le Conseil municipal qui doit l’approuver».
Même son de cloche du côté du collectif des populations. «C’est bien après que nous avons eu connaissance de ce protocole. Et nous avons demandé au maire d’éclairer notre lanterne sur cet accord. Mais il nous a carrément dit que ce n’est pas à nous de contrôler son travail». 
Nous non plus, malgré les efforts déployés, n’avons pas pu obtenir le document ou en connaître la teneur, chacune des deux parties nous renvoyant à l’autre. 
 
Un lotissement qui viole le Code de l’urbanisme, car démarré un an avant l’autorisation du ministère de tutelle
 
Pour justifier aujourd’hui ledit lotissement, la mairie et le promoteur brandissent l’arrêté ministériel n°13318/MRUHCV du 26 juillet 2017. Mais, ils n’ont jamais attendu cette autorisation ministérielle pour démarrer les travaux. Les opérations de lotissement, (abattage des arbres, terrassement…), ont démarré un an plus tôt, le 20 juillet 2016, donc sans l’autorisation du ministère, qui est pourtant préalable, au regard de la loi n°2008-43 du 20 août 2008, portant Code de l’urbanisme, en son article 43. Mieux l’arrêté ministériel en question et sur lequel se fonde la mairie pour légitimer le lotissement contesté, porte, sur 23ha à Packy et non sur 55ha à Boukhou-Packy. Ce qui correspond au lot A du lotissement dont parle le Pv de la commission régionale de l’urbanisme. Alors pourquoi lotir 55h sur la base d’une autorisation qui couvre moins de la moitié (23ha)?
 
 Les parcelles déjà en vente entre 2,1 millions F Cfa et 3,2 millions F Cfa l’unité, avant même le terrassement et la fin du contentieux judiciaire
 
Alors que le lotissement n’était même pas encore autorisé, la société immobilière, partenaire de la mairie, vend les parcelles,à travers la rubrique «nos produits et services» de son site web (www.diarra-immo.com ). Les parcelles de 150 à 225m2 y sont vendues à 14.000 F Cfa le m2, soit entre 2 100 000 F Cfa et 3 150 000 F Cfa la parcelle, avec la précision : «obtention de bail». Ce que dénonçait le collectif des mois après, en novembre 2017, à travers un communiqué. «Il y a un détournement d’objectif et une violation flagrante de l’article 83 du Code de l’urbanisme qui stipule : aucune publicité́, sous quelque forme que ce soit, ne peut être entreprise, aucune promesse de vente ou de location ne peut être consentie avant l’arrêté d’autorisation, prévu par la règlementation en matière de lotissement».
Mais M. Ndoye de Diarra Sarl, interpellé sur la mise en vente des parcelles, affirme le contraire. «On n’a pas encore démarré la vente», assure-t-il. 
Mais ce témoignage du conseiller municipal Souleymane Faye le contredit. «Lors d’un voyage en Espagne, j’ai rencontré un émigré qui m’a dit avoir acheté une parcelle sur ledit site. Il l’a achetée auprès de Diarra Sarl, avant même le terrassement du site», informe-t-il.
 
Un dossier pendant en justice, après une plainte du collectif des populations défendu par le cabinet Me Aïssata Tall Sall
 
Opposées au lotissement qui va les déposséder du seul espace qui leur reste pour l’extension du village, les populations de Boukhou, à travers le collectif mis en place, ont porté l’affaire en justice et constitué le cabinet d’avocat Me Aïssata Tall Sall. 
Mais, pour Mamadou Diouf, le collectif a perdu la bataille judiciaire. «Ils ont déposé un recours à la Cour suprême et ils ont été déboutés. Le dossier est clos. D’ailleurs les populations ont remis des demandes de parcelles à la mairie. Nous avons reçu pas moins de 800 demandes venant des populations de Boukhou censées s’opposer au lotissement», explique-t-il.
Il n’en est rien, selon Aliou Faye du collectif des populations. «C’est faux. Notre procédure est toujours en cours. Ils entretiennent volontairement l’amalgame. C’est Daouda Sène du village de kholpa (un village voisin qui n’est pas concerné par le contentieux) qui avait introduit un recours en excès de pouvoir contre la mairie, devant le Cour suprême, sans respecter la forme. Et son dossier a été rejeté pour vice de forme. Cela n’a rien à voir avec la procédure que nous, au niveau du collectif des populations de Boukhou, avons initiée. Notre dossier suit son cours et nous avons espoir que le droit sera dit en notre faveur», précise-t-il.
Mbaye THIANDOUM
 
 
 
 

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