Mamadou Seck, analyste politique et directeur du cabinet Sinapsus consulting : «l’opinion voyait venir et quand on vient confirmer ce qui se dit dans les chaumières, ces relations risquent d’être heurtées»
«Depuis quelque temps, c’est son nom qui circulait. Le président peut nommer sans expliquer les raisons de son choix. Jamais on n’a vu un président du Conseil constitutionnel du Sénégal être en odeur de sainteté avec l’opposition. La posture de l’opposition peut être controversée à tort ou à raison. Ce qu’il faut noter en Afrique, le Conseil constitutionnel assume un rôle juridique mais aussi politique. Dans ce cas, les heurts sont pratiquement inévitables avec l’opposition. Maintenant, c’est à eux de donner des gages pour que cette perception, fausse ou vraie, avérée ou réelle, soit inversée. Le mode de nomination des 7 sages reste compliqué et qui, à la base, peut être le lit de cette contestation. Si le président de la République est en convergence politique avec le président de l'Assemblée nationale, cela veut dire que les 7 sages seront choisis d’office par le président de la République. Il aurait été bien de changer le mode de désignation des sages. Ce qui permettrait de changer cette perception. Dans un contexte où il sera question d’une troisième candidature, dans un contexte où il a été reproché une proximité entre le président de la République et monsieur Camara, l’opinion voyait venir. Quand on vient confirmer ce qui se dit dans les chaumières, ces relations risquent d’être heurtées. En réalité, il n’y a rien de nouveau sous les tropiques. Macky Sall, l’opposant d’alors, a été victime d’une validation de la candidature de Me Wade en 2012. Il serait double victime s’il avait perdu ces élections. Malheureusement, il a reproduit les mêmes pratiques dans le choix, la posture du conseil, … ça n’augure pas des lendemains calmes. Maintenant tout dépendra de la posture de M. Camara car rien n’empêche au conseil de communiquer. Ils n’ont pas la tradition de communiquer. S’il amorce un processus de discussion, cela pourrait donner des gages et apaiser. Il faut lui donner le bénéfice du doute. Le doute est causé par une tare congénitale du conseil. On n’a toujours pas vu une décision du conseil qui aura révolutionné l’environnement. Une décision courageuse qui va à contre pied des décisions de l’exécutif.
Docteur Alassane Ndao, enseignant chercheur à l’Ugb : «les dossiers Karim et Khalifa ne font que renforcer les suspicions de l’opposition»
«C’est lui qui a jugé les affaires Karim Wade et Khalifa Sall. Il est récusé par ces deux politiciens et l’opposition radicale. Il y a des suspicions au sein de l’opposition. Mais le vrai débat, c’est comment peut-on être juge et partie dans la configuration du Conseil constitutionnel. Le président de la République est aussi chef de parti qui est probablement engagé dans une candidature et il est chargé de la nomination des membres du conseil. Pour moi, c’est çà la source de la suspicion. Le Président avait fait la promesse de réformer la composition du Conseil constitutionnel qui devait être élu par des collèges. Malheureusement il ne l’a pas fait. Maintenant, les dossiers Karim et Khalifa ne font que renforcer les suspicions de l’opposition. C’est une tradition qu’on doit régler et tant qu’il ne l’est pas, toute décision émanant de cette juridiction sera suspectée et contestée parce que c’est lié à leur nomination. Cette nomination a des risques qui dépendent de la posture du président de la République. S’il renonce à une volonté qu’on lui prête, le fait de se représenter pour une troisième fois, la politique va continuer normalement. Maintenant, s’il décide de se présenter, çà sera compliqué et cette nomination ne fait qu’aggraver le contexte politique qui va être très tendu. C’est une évidence qu’il faut accepter ».
Moussa Diaw, enseignant chercheur en science politique, Ugb : «il ne peut pas empêcher la candidature de Sonko si celle-là est légitime»
«Cette nomination ne sera pas la bienvenue. Il a une trajectoire et on sait ses responsabilités dans des affaires judiciaires. Sa présence au conseil laisse planer le doute sur les décisions que prendra le conseil au regard des relations qu’il a avec le président de la République. Ce n’est pas une décision qui va renforcer la démocratie ou l’Etat de droit, encore moins apaiser le climat sociopolitique. L’opposition va réagir. Elle ne fait que renforcer le doute du projet de 3ème mandat. Les dispositifs qu’il est en train de mettre en place vont dans ce sens. Les critiques de l’opposition vont se renforcer et seront plus sévères parce que ça conforte leur position, leur argument sur une relation de non indépendance, des relations de subordination, d’influence qui se justifieraient entre cette institution et l’exécutif. La composition et la nomination des membres vont encore creuser le fossé entre les leaders politiques et cette institution. L’opposition va être plus vigilante sur les actes de cette institution.
Tout est possible. Ces personnalités qui ne sont pas du tout neutres et qui doivent leur promotion au président de la République qui a ses hommes dévoués à ses directives, cela peut faire l'objet de plusieurs interprétations. Mais en aucun cas, il ne peut empêcher la candidature de Sonko si celle-là est légitime. Je ne vois pas en quoi il peut empêcher Ousmane Sonko de se présenter. Les arbitres sont les citoyens. Est-ce qu’on va accepter parce que le président de la République a mis en place sa stratégie de blocage en nommant des personnalités à ses services que les leaders politiques vont se laisser faire ? De toute façon, cela ne fera que renforcer la tension entre la majorité et l’opposition. »
Baye Modou SARR