DECES DE L’EX MEDIATEUR DE LA REPUBLIQUE, ME ALIOUNE BADARA CISSE Le Sénégal perd un illustre serviteur, un éminent avocat, un homme multidimensionnel d’un franc-parler légendaire



 
Me Alioune Badara, ex-médiateur de la République, est décédé ce samedi, quelques semaines seulement après la fin de sa mission à la tête de cette institution. Une mission qu’il aura menée avec responsabilité, en sa qualité de défenseur du droit, mais aussi avec son franc-parler légendaire qui mettait souvent mal-à-l’aise ses alliés. Avec cette disparition, c’est le Sénégal, notamment la jeunesse et le barreau, qui sont orphelins d’un illustre serviteur.
 
 
 
L’ancien médiateur de la République n’est plus. Me Alioune Badara Cissé, ABC pour les intimes, a tiré sa révérence, ce samedi, des suites d’une maladie à l’hôpital Principal, à sa 63e année. Une triste nouvelle qui a plongé le Sénégal et particulièrement Saint-Louis - sa ville natale qui pleure encore ses enfants morts suite à un chavirement d’une pirogue - dans la tristesse et la désolation. Un décès qui survient quelques jours après sa fin de mission à la tête de la médiature de la République le 5 août dernier. Une mission qu’il aura conduite jusqu’au bout. Pendant six ans, il aura servi cette institution avec dévouement, engagement et responsabilité. Pourtant, ses positions tranchées et son franc-parler avaient poussé certains à croire que cet allié encombrant serait assujetti au silence, par devoir de réserve, suite à sa nomination par décret le 5 août 2015 comme médiateur de la République. Il n’en a rien été. C’était méconnaitre le fonctionnement et les textes qui régissent cette institution, comme il aimait à le rappeler. Pour lui, la Médiature ne signifiait point d’être une caisse de résonnance des complaintes du peuple, mais de savoir écouter et d’apporter des solutions à ses problèmes.
 
Son discours vérité de mars
 
S’y ajoute une liberté de ton chevillée au corps de cet esprit libre et cultivé, au discours authentique et captivant. Une liberté de ton qui indisposait souvent ses camarades de parti. Sa sortie lors des violentes émeutes du mois de mars dernier est un viatique qui raisonne dans les esprits. Alors que la colère des jeunes avait fini d’embraser le Sénégal, dans cette affaire de viol présumée impliquant le patron de Pastef, Me Alioune Badara Cissé avait enfilé son manteau de médiateur de la République pour parler aux jeunes, mettre le chef de l’Etat devant ses responsabilités et dénoncer certains discours de membres du gouvernement qui ne faisaient qu’aggraver la situation. Cette dernière sortie remarquée a rythmé la vie et le magistère de ABC à la tête de la Médiature. Avocat et fervent défenseur du droit, il a, pendant six ans, été une oreille attentive pour ses compatriotes dont les réclamations et complaintes se heurtaient au mur de glace de l’administration.
 
Respect et reconnaissance de ses pairs médiateurs d’Afrique et du monde
 
C’est durant son magistère que l’institution de la Médiature est devenue plus représentative, plus visible. En effet, en plus d’élargir les pouvoirs de la Médiature conformément à la loi de 1999 qui régit cette institution, Me Cissé avait renforcé le rôle et les attributs des correspondants régionaux du médiateur en installant dans chaque région une plateforme de médiation. Son leadership a forcé le respect et l’admiration de ses pairs au niveau international. C’est ainsi qu’il est devenu en janvier 2016, en guise de reconnaissance, président de l’Association des Médiateurs des pays membres de l’Uemoa (Amp-Uemoa). A cet effet, il a été élevé au Niger au rang de Commandeur de l’Ordre du mérite. C’est durant son magistère également que la Médiature du Sénégal a réintégré plusieurs organisations et associations de médiateurs comme l’Association des Ombudsman (médiateur en néerlandais) et médiateurs africains (Aoma) ; l’Institut international de l’ombudsman (Iio), entre autres. D’ailleurs, c’est à l’unanimité qu’il a été élu, en février 2018, au Conseil d’administration de l’Iio.
 
Un homme multidimensionnel
 
L’ex-médiateur de la République était aussi un homme multidimensionnel. Son parcours académique peu ordinaire et sa forte personnalité de leader l’ont amené à occuper plusieurs postes de responsabilités sous les régimes de Wade et de Macky Sall. A l’arrivée au pouvoir de l’actuel chef de l’Etat, en 2012, Me Alioune Badara Cissé a été nommé ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur. Une nomination qui n’aura duré que le temps d’une rose, avant la brouille, puisqu’il sera limogé six mois plus tard, alors qu’il était en pèlerinage aux lieux saints de l’Islam. Le même mois, il avait remis sa toge pour reprendre son travail d’avocat. Auparavant, Me Cissé a été, entre 2004 et 2007, conseiller spécial et Directeur de cabinet de l’ancien Premier ministre de Wade, en l’occurrence Macky Sall. Il a aussi été Secrétaire général du Gouvernement et Commissaire général du Gouvernement près le Conseil d’Etat.
 
Un éminent avocat
 
ABC est également fidèle en amitié, comme en témoigne son compagnonnage avec Macky Sall. En effet, lorsque celui-ci a démissionné de tous les mandats électifs du Pds en 2008, Me Cissé avait également quitté le Pds, en dépit de la main tendue de Wade. Il n’avait pas hésité non plus à quitter son poste d’adjoint au maire de Saint-Louis après 2009 pour se lancer à la conquête du pouvoir avec Macky Sall. C’est ainsi que Macky Sall a mis fin au régime de Wade. Cependant, avant d’être politique, Me Alioune Badara Cissé est un éminent avocat. Un avocat chevronné, un fervent défenseur, un orfèvre du droit. Il était d’une éloquence et d’une élégance verbale aux allures d’envolées lyriques qui forcent l’admiration. Me Cissé savait convaincre par ses plaidoiries qui captivent l’attention. Avec son décès, le barreau est également orphelin d’un de ses plus illustres serviteurs. Pour rappel, c’est de retour au Sénégal, en 1988, qu’il a été admis au barreau après une maitrise en Droit des affaires et deviendra, quatre ans plus tard avocat à la Cour. Auparavant, il a été expert judiciaire au Tribunal départemental de Dakar, désigné dans les missions d’évaluation et de séquestre.
 
ABC, c’est aussi un Cv impressionnant
 
S’il n’est pas le plus diplômé au Sénégal, Me Alioune Badara Cissé fait partie de ces personnes au Cv très impressionnant. Après avoir débuté ses études en classe de Ce…2, dans sa ville natale à Saint-Louis, ABC a enfilé les diplômes comme des perles. En effet, au terme de son cycle primaire, il a poursuivi ses études à Dakar où il a obtenu le Bac, Série A4, en 1978, avec la mention bien. Un an auparavant, il a été le premier lauréat du Concours général en anglais. Une distinction venue couronner sa passion de la langue de Shakespeare. A l’Université Cheikh Anta Diop, il a obtenu son Deug en langues étrangères appliquées en 1980, avant de s’envoler pour la France, où il a obtenu une Licence en Langues étrangères appliquées à l’Université de Saint-Etienne. Il s’est par la suite envolé pourl’Ecosse afind’y enseigner l’anglais, l’espagnol et le français à Beath-High jusqu’en 1983. De retour en France, cette fois-ci à Toulouse, il obtient entre 1983 à 1986 une Licence en droit international public à l’université Science sociale de Toulouse ; une Maitrise de Langues étrangères appliquées à l’université Toulouse Le Mirail ; un diplôme de l’Institut de sciences politiques de Toulouse (filière économique et finance) ; ainsi que deux diplômes supérieurs de droit économique du transport aérien et développement et coopération technique à l’Institut des hautes études internationales et du développement de l’Université Sciences sociales de Toulouse. Rentré au bercail, il obtint une maitrise en Droit des affaires avant d’être reçu au barreau. En 1992, il a été bénéficiaire du Hubert Humphrey Followship pour un séjour académique au Minnesota aux Etats-Unis. Un séjour durant lequel il sera diplômé en Leadership et Innovation à l’Institut d’administration publique de l’Université du Minnesota certifié en Leadership et Innovation et décroche, dans la foulée, son doctorat en 1999 et devient ainsi Duris doctor de Hamline University School of Law à Saint-Paul de Minnesota.
 
M. CISS
 
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