Bocar Diongue n’est pas content d’Amadou Bâ et il ne met point de gants pour dire ce qu’il pense de la façon dont le parti est managé par le Premier ministre. Dans cet entretien avec «Les Echos», il fait le point de la situation, livre ses impressions par rapport à la percée de l’opposition incarnée par le Pastef, mais aussi la candidature annoncée de Idrissa Seck.
Les Echos : On est à quelques mois des élections. Beaucoup d’engagements avaient été pris par vous autres responsables de la mouvance présidentielle ici au niveau des Parcelles Assainies. C’est quoi la situation ?
Bocar Diongue : Nous avons toujours un parti qui est en hibernation. Pas d’activités ni d’animation au niveau de la base. La vente des cartes traine des pieds. Amadou Bâ lui-même avait dit qu’il allait vendre plus de 10.000 cartes, mais ça traine toujours et je pense que tout est rangé aux oubliettes. Et pourtant, ce devrait être l’épicentre du lancement de la candidature du Président Macky Sall. Malheureusement, cette léthargie profite à l’opposition. Ils ont fait des Parcelles Assainies leur terrain de prédilection. Lorsqu’Amadou Bâ a été nommé Premier ministre, sa première tâche aurait dû être de massifier le parti, de se battre, de mouiller le maillot pour essayer de limiter les dégâts. Il y a eu presque 20.000 voix d’écart par rapport à l’opposition. Cet égard s’est amplifié parce qu’aux locales, il y avait plus de 8000 voix de différence. Jusque-là, on n’a pas encore fait de rencontre d’évaluation de ce qui s’est passé. C’est une gestion clanique, une gestion solitaire d’un responsable aux abonnés absents qui a toujours pensé qu’il peut massifier le parti par procuration. Ceux sur lesquels ils s’appuient, ce sont ses proches, des gens qui n’habitent pas dans la commune, des gens qui n’ont rien à voir avec les Parcelles. En somme, c’est se bercer d’illusion de croire qu’Amadou Bâ peut renverser la tendance ici aux Parcelles et même à Dakar.
Ce sont des faits que vous avez toujours dénoncés pourtant …
On s’est fait une religion. On sait maintenant qu’Amadou Bâ n’est pas un homme de décision. Il ne prend pas d’engagement. Tout ce qu’il dit, il ne le respecte pas. On lui avait souligné cela et il avait fait une amende honorable reconnaissant ses manquements. Mais chaque fois que vous discutez et entérinez quelque chose, il oublie aussitôt tout ce qu’il vous a dit. Je ne sais pas ce que le parti compte faire. Cette fois, le président sera informé de la situation parce que le président a à cœur sa réélection, je pense qu’il ne laissera pas le parti en l’état.
Ce qui est curieux, c’est que vous avez défendu Amadou Bâ partout, qu’est-ce qui s’est passé ?
Déception. Nous pensions que quand le président de la République fait d’Amadou un Premier ministre, cela allait être une opportunité offerte aux Parcelles Assainies. Six à sept mois qu’il est Premier ministre, il n’a cherché à promouvoir aucun jeune. Même pas comme chargé de mission. Pire, les cadres sont laissés en rade. Les Parcellois ne sentent pas Amadou Bâ. Nous l’attendons de pied ferme. Nous pensons que c’est une aberration de vouloir imposer ses proches, au moment où il y a des responsables comme Moussa Sy, Mame Diarra Diouf… Tant que Amadou Bâ ne travaille pas en synergie avec ces grands responsables, il n’aura pas la confiance des Parcellois. Il est dans son clanisme et on a l’impression qu’il n’écoute pas ce qu’on lui dit.
Mais la ministre de la Femme, Fatou Diané, a recruté dans son cabinet des femmes des Parcelles…
Cela est vrai et nous nous en réjouissons. Très consciente des enjeux aux Parcelles Assainies, elle a nommé certaines de nos sœurs comme des chargées de mission. C’est un fait à saluer. C’est ce qu’on attendait. Ce sont des femmes qui ont des calebasses, des femmes qui se battent jour et nuit pour le triomphe du Président Macky Sall.
Quelles sont vos relations avec Moussa Sy ?
Nous avons des relations amicales. Je suis convaincu que c’est un camarade engagé. Il me l’a dit clairement. Il ne cherche que le triomphe du Président Macky Sall. Il est ouvert et prêt à travailler avec tous les responsables. Sur ce point, je n’ai aucun reproche à lui faire. Mais le jeu politique est tel qu’il y a des risques qu’ils ne prendront pas par rapport à Amadou Bâ qui ne bouge pas. S’il n’est pas aux côtés de Amadou Bâ, ce dernier ne gagnera pas les Parcelles, l’écart sera encore grand parce que les populations observent. Depuis que nous avons pris notre distance à cause de ses pratiques, il a perdu la présidentielle de 2019, les locales et législatives de 2022. Il ne peut pas maîtriser autant que nous le terrain parcellois.
C’est quoi les relations entre Amadou Bâ et les leaders locaux de Benno ?
Ce sont des relations froides. Les responsables, unanimement, disent que Amadou Bâ les toise comme il nous le fait. Il ne discute pas, il n’organise pas de rencontres avec la coalition. Il attend qu’il y ait élection pour essayer de rassembler, ça ne colle pas. C’est maintenant qu’il faut s’ouvrir aux responsables de la coalition qui sont là et ne sont associés à rien.
On ne vous voit pas bouger pour les réinscriptions et inscriptions sur les listes électorales. Pourquoi cela ?
Nous suivons le processus à distance. Il y l’opposition qui occupe le terrain. Nous sommes conscients que de cet état de fait. Benno Bokk Yakaar n’a pas encore donné de consignes encore moins tenu de réunion allant dans le sens de donner des orientations, des directives pour les inscriptions sur les listes. Nous incitons les militants à aller s’inscrire. C’est ce que nous faisons au quotidien. Il y a aussi les femmes qui emmènent leur fils s’inscrire.
Que pensez-vous de la descente de Abdoulaye Daouda Diallo à Dakar ?
Il faut savoir lire entre les lignes. Le président n’a pas le temps d’attendre. Il faut secouer la base. Je pense que la descente de Abdoulaye Daouda Diallo est une forme d’insatisfaction et de désaveu du chef de l’Etat par rapport à ce que font les responsables de Dakar. C’est un signal fort. L’écart au niveau des défaites doit être réduit. Il nous faut des gens acharnés à la tâche, je pense qu’Abdoulaye Daouda Diallo est un excellent profil pour cela. La compétition se passe sur le terrain. Le service que ceux qui sont nommés puissent rendre au président, c’est de descendre sur le terrain. On ne critique pas le président sur un bilan, mais des manquements que certains responsables auraient dû pallier. Certains sont riches, mais ne font aucun effort.
Est-ce que ce n’est pas un désaveu d’Amadou Bâ qui a été porté en triomphe par les Dakarois ?
Je pense qu’Amadou est assez lucide pour comprendre le message. C’est à lui qu’il revient de rendre la monnaie de la pièce au président. Nous pensons qu’il est insaisissable. Qu’il a quelque chose à nous cacher ou il ne veut pas travailler avec les responsables locaux. Nous sommes nombreux à nous battre dans ce parti, eux ils le savent. C’est eux qui nous combattent. En son temps, lorsqu’il faisait sa traversée du désert, nous nous sommes battus, il y a le maire Mamadou Wane, Ansoumana Danfa. Aujourd’hui, il ne veut même pas nous voir en photo, ce que nous ne comprenons pas. Il faut savoir rendre l’ascenseur.
Baye Modou SARR