Prenant la parole au Groupe consultatif de Paris, le chef de mission du Fmi pour le Sénégal a partagé quelques points de vue sur l’évolution économique du Sénégal et sur ses enjeux à court et moyen terme. Même s’il s’est félicité des performances globales de notre pays et des résultats du Pse, Michel Lazare a noté les failles et tracé le chemin vers l’émergence à laquelle le Pse 2, qui a reçu des milliards d’engagements de financement, doit conduire le Sénégal…
«L’économie du Sénégal est en forte croissance et est stable depuis quelques années». Ce ne sont pas les autorités qui le disent, mais Michel Lazare, le chef de mission du Fmi pour le Sénégal, qui note que 2018 serait la 4èmeannée consécutive où la croissance du Sénégal dépasserait 6%. Ce qui, se félicite-t-il, est «une performance tout à fait remarquable». Notant «une inflation faible depuis un certain temps et qui devrait le rester à long et moyen terme», le fonctionnaire du Fmi note qu’à côté de ces performances, «des analyses préliminaires concluent que la position extérieur du Sénégal est soutenable et fondamentalement en ligne avec les paramètres fondamentaux». Mais, tout est loin d’être rose. C’est pourquoi Michel Lazare a attiré l’attention du Sénégal et de ses partenaires financiers et techniques sur un certain nombre de questions, comme le déficit du compte courant de la balance des payements, la nécessité d’augmenter les recettes fiscales par des moyens divers, la prudence dans la gestion de la dette…
«Envisager certaines mesures supplémentaires d’ici l’année prochaine, pour limiter l’importance des subventions énergétiques…et respecter les prévisions de recettes ambitieuses qui sont inscrites dans le budget»
Le chef de mission du Fmi pour le Sénégal ne se voile pas la face. «Le déficit du compte courant de la balance des payements s’est considérablement creusé depuis 2016 et devrait rester supérieur à 16% du Pib en 2018», soutient-il. Non sans ajouter que «cette augmentation du déficit est attribuable, en grande partie, à la hausse des cours mondiaux des produits de base, en particulier le pétrole, et la mise en œuvre de projets d’investissements publics». Soulignant que notre pays «s’engage à respecter le critère de déficit budgétaire de l’Uemoa de 3%, à partir de 2019», Michel Lazare note que le budget adopté récemment par l’Assemblée nationale «est compatible avec cet objectif». Toutefois, il note que le Sénégal devra «envisager certaines mesures supplémentaires d’ici l’année prochaine, pour limiter l’importance des subventions énergétiques et pour respecter les prévisions de recettes ambitieuses qui sont inscrites dans le budget». Pour le fonctionnaire du Fmi, «la réalisation des objectifs du déficit est non seulement importante pour soutenir la viabilité des finances publiques du Sénégal, mais aussi pour maintenir le niveau sain de réserves communes de l’Uemoa, en contribuant à la réduction du déficit et à l’investissement dans la région».
Être plus rigoureux dans la perception des impôts, réduire les exonérations, renforcer l’administration fiscale…
Pour le Fmi, la politique budgétaire du Sénégal «doit répondre aux besoins sociaux et de développement, tout en préservant la viabilité de la dette». Pour cela, son chef de mission pour le Sénégal pense qu’à moyen terme, «il faudrait augmenter les recettes fiscales pour atteindre l’objectif de 20% du Pib préconisé par l’Uemoa». Ce qui, note-t-il, implique une augmentation au moins du Pib de 4.1, au niveau actuel de ce ratio. Mais, à en croire Lazare, «si des mesures fiscales sont essentielles pour réaliser cet objectif (augmentation des recettes), par exemple en réduisant les exonérations fiscales, et en fondant un système fiscal davantage sur des règles», force est de reconnaître qu’«il n’y a guère de marge pour augmenter les taux d’imposition, compte tenu des niveaux des taux d’imposition actuelle». Par conséquent, il faudra explorer d’autres pistes.
En ce sens, il souligne que «le renforcement de l’administration fiscale est également important, pour mobiliser de nouvelles ressources». Et que «le Sénégal devrait percevoir encore plus activement les sommes exigibles en vertu du code des impôts». En clair, être moins tolérant à l’égard des imposables. Heureusement que, pour lui, le démarrage de l’exploitation de gaz et de pétrole offshore pourrait «largement contribuer à accroitre les recettes fiscales, par rapport au Pib, si le régime fiscal du secteur est bien conçu».
Poursuivre les réformes comme celles concernant La Poste et le Fnr, pour la rationalisation des dépenses publiques
En ce qui concerne les dépenses, le chef de mission du Fmi affirme qu’il est «nécessaire de poursuivre les réformes visant à renforcer la mise en œuvre du budget…». En ce sens, il soutient que «les réformes récentes concertant La Poste et le retrait de la fonction publique, sont des pas importants». Il en est de même de la limitation des dépenses sur investissements publics triannuels et de la limitation du report sur les obligations fiscales dans les budgets annuels. En définitive, Michel Lazare est convaincu que les initiatives déployées pour appliquer les directives de limitation budgétaire de l’Uemoa, visant à mettre en œuvre des budgets-programmes et renforcer les statistiques, la gestion de l’information budgétaire à partir de 2020, devraient améliorer aussi la gestion des finances publiques.
«Le Sénégal doit continuer à mettre en œuvre une stratégie prudente de gestion de la dette, qui suppose un équilibre pour payer la dette intérieure et la dette extérieure…»
Au sujet de la dette du Sénégal qui soulève beaucoup de passions et de polémiques entre le pouvoir et ses détracteurs, le représentant du Fonds monétaire international coupe la poire en deux. «Bien que la dette conserve une trajectoire viable, la gestion de la dette devra tenir contre de la vulnérabilité croissante et d’un environnement international moins favorable», dit-il. Et de poursuivre : «Le Sénégal doit continuer à mettre en œuvre une stratégie prudente de gestion de la dette». Une telle stratégie, pour lui, suppose «un équilibre pour payer la dette intérieure et la dette extérieure» et «un recours, chaque fois que c’est possible, à des emprunts à taux concessionnels». Ce qui, pour lui, permettra de «réduire le service de la dette et l’exposition aux devises étrangères».
«Pour maintenir une croissance forte, le secteur privé doit être le principal moteur de la croissance»
Face au Sénégal et à ses partenaires, le chef de mission du Fmi s’est fait l’avocat du secteur privé dans notre pays, seul gage d’une pleine croissance. «Pour maintenir une croissance communautaire qui soit forte, tel qu’envisagé dans le Pse 2, le secteur privé doit être le principal moteur de la croissance. Les Pme devront jouer un rôle important», affirme-t-il. Non sans préciser que les investissements publics destinés à améliorer les infrastructures restent, tout de même, «une priorité» pour les années à venir. Mais quoi qu’il en soit, Lazare est formel : «l’accès du Sénégal au statut de pays émergent devra provenir essentiellement des solides investissements privés, qui engendrent une hausse de la compétitivité et de l’exploitation». En outre, le responsable du Fmi pense que pour progresser, le Sénégal doit prendre appui sur les progrès déjà réalisés, et poursuivre la mise en œuvre des réformes visant à améliorer le climat des affaires, à réduire les coûts de production.
Mbaye THIANDOUM