26 septembre 2022/26 septembre 2022, voilà 20 ans jour pour jour que les familles sénégalaises pleurent leurs proches disparus dans le plus grand drame maritime civile au monde, le naufrage du bateau le «Joola». 1800 disparus, selon le chiffre officiel et plus de 2000, selon d’autres. Les familles des victimes continuent de pleurer leurs morts et peinent à faire le deuil. Catherine Aimé Gomis a perdu son père dans le bateau. Elle avait 12 ans lorsqu’elle apprenait le naufrage du«Joola». Laissée en rade dans la prise en charge des enfants qui ont perdu leurs parents, elle fait savoir que la liste est plus que longue. Le mois de septembre arrivé, la psychose revient.
«La douleur, la peine et la colère de savoir que les coupables sont là, mais l’Etat ne fait rien»
«Il y a des orphelins qui n’ont pas reçu l’assistance, ni l’aide de l’Etat. Nous sommes laissés à nous-mêmes. Aucune assistance psychologique, ni accompagnement de l’Etat. Vingt ans après, c’est comme si ça s’est passé aujourd’hui. C’est difficile et c’est douloureux. C’est ce sentiment que je ressens. La douleur, la peine et la colère de savoir que les coupables sont là mais l’Etat ne fait rien. L’Etat veut nous faire oublier mais nous ne pouvons pas oublier. Comment peux-tu oublier celui qui t’a mis au monde ? Comment ? (Pause, puis pleurs). Je ne vais jamais oublier mon père, je ne peux pas rester une journée ou une nuit sans que je pense à lui. C’est mon papa, c’est ma chair. Je me demande, Papa tu es où, (encore pleurs, de chaudes larmes). Je n’ai pas vu de corps, je n’ai rien vu. Parfois je me dis qu’il va réapparaître un jour dans un pays ou quelque part.»
«L’Etatn’a jamais rien fait pour nous»
«Je vis cette situation remplie de chagrin, remplie de douleur. Je me demande où est papa. Quand je regarde mes frères et sœurs, je vois la tristesse en eux. Et l’Etat n’a jamais rien fait pour nous. L’Etat nous a abandonnés, nous les orphelins. Le naufrage est un évènement gravé dans nos esprits, dans nos âmes. Chaque septembre, l’évènement me hante. Quand j’entends le mot septembre, cette tragédie me revient en tête et en boucle. Je peux tout oublier mais pas çà. Monsieur le président, nous vous supplions de renflouer l’épave. Nous voulons la prise en charge des orphelins. Nous voulons que les orphelins malades puissent être pris en charge. Nous voulons ce musée, nous voulons la justice pour que la vérité sur ce naufrage éclate. L’Etat ne nous permet pas de faire le deuil, il nous le refuse. La mer n’est pas un cimetière. Pourquoi l’Etat nous laisse dans le doute et dans le flou ? Qui est-ce qui se passe ? Quel est le problème de l’Etat du Sénégal ? Il doit nous répondre. Nous voulons que le 26 septembre soit considéré comme une journée de commémoration, de deuil national ou les drapeaux seront en berne. Monsieur le Président,quand est-ce que vous allez répondre aux orphelins, aux familles de victimes ? Quand est-ce que tous les orphelins seront pris en charge, tous les orphelins je dis ? Ce sentiment reste le même 20 ans après. On ne fera jamais notre deuil tant que ce bateau n’est pas renfloué. Si c’était un de vos parents, vous l’aurez fait. Donc vous devrez nous considérer comme vos enfants. Nous voulons une équité dans la prise en charge des orphelins. Des sommes de 240.000 F, ça signifie quoi ? Ça ne peut rien faire, ça ne résout rien.»
«Ce naufrage a chamboulé toute ma vie. Mon papa était mon meilleur ami, ma référence»
«Ce naufrage a chamboulé toute ma vie. Mon papa était mon meilleur ami, ma référence. C’était difficile. C’est comme si l’affaire venait d’avoir lieu. Une situation que j’ai du mal à décrire. Il m’avait dit qu’il partait en voyage. Je n’imaginais pas qu’il faisait un voyage sans retour. C’est très difficile pour un enfant à plus forte raison l’adulte que je suis devenue. L’Etat ne m’a jamais prise en charge, ni accompagnée, ni aidée. Le mois de septembre est difficile pour nous. C’est le retour à la case départ. Nous n’avons pas pu continuer nos études. C’est notre maman qui s’est toujours débrouillée pour nous prendre en charge. Aucun membre de notre famille n’est pris en charge. Seul notre cadet a été recensé mais il n’a rien reçu ni n’a été assisté encore moins accompagné dans ses études…»
Baye Modou SARR