Le juge de la Chambre criminelle a rendu le 1er juin dernier un jugement de condamnation, à l’encontre d’Ousmane Sonko et Ndèye Khady Ndiaye. Après avoir disqualifié les faits de viol en corruption de la jeunesse, il a condamné le leader de Pastef à deux ans de prison ferme et à une amende de 600.000 francs. L’opposant politique doit également payer 20 millions de francs solidairement avec Ndèye Khady Ndiaye à la partie civile Adji Sarr. Le patronne du salon a été condamnée pour incitation à la débauche. Pourquoi le juge a disqualifié ? Pourquoi le délit de corruption de jeunesse a été retenu ? Le journal Les Echos revient sur les motivations du juge.
La décision rendue par la Chambre criminelle dans l’affaire Sweet Beauté a suscité beaucoup de polémiques. L’opinion publique sénégalaise pour la plupart a été surprise de la disqualification des faits de viol à l’encontre d’Ousmane Sonko en délit de corruption de jeunesse. Pour sa part, en tout cas, le juge de la Chambre criminelle a tenté de bien motiver sa décision en expliquant pourquoi il a retenu ces infractions à l’encontre du leader de Pastef et de Ndèye Khady Ndiaye.
«Ndèye Khady Ndiaye condamnée pour incitation à la débauche»
Sur les faits d’incitation à la débauche reprochés à la patronne du salon Sweet Beauté, la Chambre s’est appuyée sur l’article 324 alinéa 2 du code pénal qui dispose : «sera puni d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 300.000 F Cfa à 4.000.000 F Cfa quiconque aura attenté aux mœurs en excitant, favorisant ou facilitant habituellement la débauche ou la corruption de la jeunesse de l’un ou de l’autre sexe au-dessus de l’âge de 21 ans, ou, même occasionnellement, des mineurs de 16 ans». Selon le juge, «l’acte matériel d’attentat aux mœurs par incitation de la jeunesse à la débauche est caractérisé par l’accomplissement habituel d’acte tendant à inciter des personnes âgées de moins de 21 ans à la dépravation des mœurs», ou «avoir un comportement sexuel immoral». Ainsi sur l’âge de Adji Sarr, la Chambre s’est fondé sur les procès-verbaux de gendarmerie et de l’instruction pour retenir qu’elle est bien née le 3 mars 2000. Ainsi, en février 2021, au moment de la commission des faits, elle n’avait pas bouclé ses 21 ans. Poursuivant, la Chambre soutient que les masseuses engagées par Ndèye Khady Ndiaye n’avaient aucune qualification et qu’elles n’avaient reçu aucune formation en massage thérapeutique. «Il s’y ajoute que la description faite par le gendarme enquêteur Seydina Oumar Touré lors de son transport sur les lieux et au cours duquel il a constaté la lumière rouge tamisée marquant le décor dans les cabines ainsi que la présence de jacuzzi combinée à l’inexpérience et l’absence de qualification des masseuses l’appréciation qu’il a faite à l’audience en soulignant que les locaux peuvent ressembler à un lieu de débauche, laissent apparaître que ‘’Sweet Beauté’’ est un lieu de dépravation des mœurs», a conclu le juge.
‘’Ndèye Khady Ndiaye recrute des jeunes filles, pour la satisfaction du plaisir sensuel ou sexuel des clients’’
Selon lui toujours, en laissant Adji Sarr évoluer dans ce genre d’endroit et même, parfois, gérer le salon, en son absence, Ndèye Khady Ndiaye ne fait qu’’’exposer’’ Adji Sarr à la ‘’débauche’’. «Le mode de rémunération consistant à lui donner une part sur le montant versé par le client favorise sa perversion, ce qui l’expose à la débauche», arguent encore les magistrats. Il ressort de ce qui précède, selon la Chambre criminelle, que Ndèye Khady Ndiaye, recrute en connaissance de cause des jeunes filles dont Adji Sarr, pour la satisfaction du plaisir sensuel ou sexuel des clients qui fréquentent ‘’Sweet Beauté’’, renchérissent les juges. De ce fait, la patronne du salon «a commis un attentat aux mœurs sur une personne âgée de moins de 21 ans en l’incitant à la débauche», selon les magistrats. Il y a lieu donc pour les juges de condamner Ndèye Khady Ndiaye à deux ans ferme et à une amende de 600.000 francs ; il a ainsi ordonné la fermeture de «Sweet Beauté».
Pourquoi Ousmane Sonko est condamné pour corruption de la jeunesse
Sur les faits de viol reprochés à Ousmane Sonko, les juges ont invoqué l’article 320 du code pénal qui définit le viol comme tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature que ce soit, commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise. Selon les juges, il n’est pas contesté qu’Ousmane Sonko s’est rendu au salon Sweet Beauté, à plusieurs reprises. «Que Adji Sarr a constamment soutenu qu’à la fin de chaque séance de massage, l’accusé Ousmane Sonko, exigeait d‘elle des faveurs sexuelles notamment les 21 décembre, 31 décembre 2020, 11 janvier et 2 février 2021», arguent les magistrats. Qui poursuivent : «qu’il apparait de l’instruction et des débats d’audience que quelques instants après le départ de l’accusé Ousmane Sonko, (le 2 février), le gynécologue Alfousseyni Gaye, en compagnie de Sidy Ahmed Mbaye, s’est présenté sur les lieux pour conduire Adji Raby Sarr à l’Hôpital général de Idrissa Pouye (Hogip) où elle a été examinée par ce médecin qui, après avoir constaté, dans son rapport du 3 février 2021, l’absence de lésion vulvaire et l’existence de déchirure ancienne de l’hymen sur 03h, 07h et 11h, a fait des prélèvements, en vue d’un test ADN, dont l’analyse par le laboratoire de biologie médicale de l’hôpital a établi la présence de spermatozoïdes vivants comme en atteste la lettre du 19 décembre 2022 du chef de service dudit centre. Cette découverte de spermatozoïdes vivants dans le vagin de Adji Sarr, suite aux prélèvements effectués dans un temps très voisin de l’intimité entre cette dernière et l’accusé Ousmane Sonko, conforte la thèse de l’existence d’une conjonction sexuelle ; ce d’autant que de leur intimité jusqu’aux prélèvements en vue d’un test ADN, cette dernière n’a été en contact avec aucun autre homme comme cela ressort des déclarations de Aïssata Bâ, de Ibrahima Coulibaly et de Alfousseyni Gaye», soulignent les juges dans leur jugement.
Le «refus éloquent» d’Ousmane Sonko de se soumettre au test ADN
Il retient aussi le comportement du patron de Pastef qui «accepte» de rester seul avec Adji Sarr le 2 février après le massage à quatre mains, pendant une trentaine de minutes. Tout cela, selon lui, «démontre qu’il attendait les faveurs sexuelles dont il bénéficiait à la fin de chaque massage, lesquelles sont à l’origine de cette éjaculation». Et ce n’est pas tout, l’attitude d’Ousmane Sonko qui refuse de se soumettre au test ADN qui pouvait le disculper a également été souligné par le juge. «Il s’agit d’un refus éloquent qui conforte davantage les allégations de la victime selon lesquelles l’auteur de l’acte de pénétration sexuelle ayant laissé le sperme trouvé dans son vagin est l’accusé Ousmane Sonko». «Que tous ces éléments prouvent donc à suffisance que l’accusé Ousmane Sonko a entretenu des rapports sexuels avec la nommée Adji Sarr», retiennent les juges.
L’acte de violence n’est pas prouvé (…) Les «relations sexuelles étaient consenties»
Cependant s’agissant des violences, personne, selon le magistrat, n’a remarqué ou «constaté un élément pouvant laisser penser que Adji Sarr a pu être victime d’une violence sexuelle qu’elle n’a d’ailleurs jamais dénoncée», notent-ils. «Attendu que même s’il résulte de tout ce qui précède que les relations sexuelles étaient consenties, il reste que le déroulement des faits discutés à l’audience, le cadre ainsi que l’engrenage infernal dans lequel l’accusé Ousmane Sonko a placé Adji Raby Sarr en l’habituant au sexe et à l’argent par des remises de montants distincts du coût du massage, démontrent qu’il posait des actes tendant à favoriser la débauche chez la jeune fille», conclut la Chambre dans sa décision.
Les juges rejettent le ‘’complot’’
S’agissant du complot soulevé par Ousmane Sonko, la Chambre criminelle a suivi le juge d’instruction en retenant que «les éléments et les personnes qu’il invoque dans sa théorie du complot ne sont pas intervenus dans la commission des actes positifs notamment le conduire sur les lieux, obtenir son sperme ou choisir la victime, ils n’ont aucun impact sur la matérialité des faits». Ainsi, pour lui, les faits de viol s’analysant mieux en attentat aux mœurs par la corruption de la jeunesse, les juges ont retenu ce délit à l’encontre du leader de Pastef. Ils ont invoqué l’article 294 du code de procédure pénale qui permet à la Chambre criminelle de prononcer soit une peine criminelle soit une peine correctionnelle avant de condamner Ousmane Sonko à deux ans ferme avec une amende de 600.000 francs après avoir disqualifié les faits en attentat aux mœurs par corruption de la jeunesse. Il a ainsi alloué à Adji Sarr 20 millions de francs pour les dommages et intérêts et a condamné solidairement l’opposant politique et Ndèye Khady Ndiaye à payer ladite somme.
La Chambre a aussi acquitté Ousmane Sonko des faits de menaces de mort ; l’existence de l’arme n’a, par ailleurs, pas été prouvé. S’agissant de la patronne de Sweet Beauté, elle aussi a été acquittée des faits de complicité de viol et diffusion d’images contraires aux bonnes mœurs.
Alassane DRAME