En 2019, alors qu’il s’apprêtait à faire une opération au niveau de sa jambe, Babacar Coumba Diop est arrêté, suite à une saisie d’une grosse quantité de drogue camouflée dans des véhicules au port. L’affaire fit les choux gras de la presse. Il est arrêté avec plusieurs autres Sénégalais. Inculpé et placé sous mandat de dépôt pour trafic de drogue, il eut un séjour carcéral mouvementé et plein de tracasseries, avec de graves maladies qu’il a eu à attraper ; il s’y ajoute la perte de ses deux parents. Suffisant pour faire craquer ce père de famille pourtant très solide mentalement. Près de quatre ans plus tard, il est blanchi. La Chambre criminelle n’a retenu que le fait de complicité de corruption. Il fait appel de la décision. Pendant ce temps l’entreprise où il travaillait a trouvé le prétexte pour se débarrasser de lui, par un licenciement abusif. En contentieux avec Dakar Terminal, il vit difficilement, avec le regard méfiant et accusateur de la société et les ennuis financiers. Il se confie au journal « Les Echos ».
Les Echos : vous avez été poursuivi dans une affaire de trafic de drogue avant d’être condamné pour complicité de corruption, pouvez-vous revenir un peu sur cette affaire ?
Babacar Coumba Diop : Effectivement, j’ai été poursuivi pour une affaire de drogue en 2019. On a fait l’objet d’un mandat de dépôt. On est resté en détention préventive pendant 3 ans et quelques mois. En 2022, j’ai bénéficié d’une liberté provisoire pour des raisons médicales, parce qu’en prison, j’ai attrapé plusieurs maladies, dont le diabète, l’hypertension. Quelques mois plus tard, on a été jugé devant la Chambre criminelle. La Chambre m’a acquitté sur des faits de trafic de drogue. Un seul fait a été retenu à notre encontre, c’est-à-dire moi et deux transitaires qui avaient fait la reconnaissance des 5 véhicules où était cachée la drogue, c’est la corruption. J’ai interjeté appel de la décision et l’appel est en cours et on attend l’audience.
Comment avez-vous vécu votre séjour carcéral ?
Ce n’était pas trop difficile, parce qu’on a été bien traité. Cependant, j’ai eu à attraper plusieurs maladies en prison et comme si cela ne suffisait pas, j’ai perdu mes deux parents alors que j’étais toujours en prison. Cela a compliqué les choses pour moi. Par moments, je me sentais coupable ; je me disais que c’est par ma faute, parce que j’étais en prison que mes parents, qui n’ont pas pu supporter cela, sont finalement partis. Je m’en voulais. J’étais très proche de ma mère ; c’était ma complice. Elle était déjà malade quand on m’a envoyé en prison. Mon emprisonnement l’a beaucoup affaiblie. La dernière fois que je l’ai vue, c’est-à-dire, un mois avant sa mort, elle me disait de toujours m’en remettre à la volonté de Dieu. Elle était persuadée que j’étais innocent. Au moment de partir, c’est comme si elle savait que c’était la dernière fois qu’on allait se voir ; elle a fait deux pas, s’est retourné, m’a regardé un instant, avant de repartir. Quelques mètres plus loin, elle fait le même geste. Je garde encore cette image. C’était un mardi et le jeudi j’ai appelé à la maison comme j’ai l’habitude de le faire, on m’annonce qu’elle est tombée malade et qu’elle était à l’hôpital. Finalement, elle est décédée. C’était ma première souffrance de mon séjour carcéral. Ce qui m’a le plus fait mal, c’est que le jour de l’enterrement, le juge m’avait autorisé à assister. Je suis resté pendant plus de 90 mn à attendre, mais on me disait qu’il n’y avait pas de véhicule pour me conduire. J’habite à Niaye-Thioker (quartier proche de la prison Ndlr). Une dame est intervenue, elle a proposé qu’on marche tranquillement (j’étais à la prison de Rebeuss) jusqu’à mon domicile ou bien qu’un de mes proches qui avait un véhicule vienne me prendre, mais ils ont refusé. Finalement, on m’a retourné dans ma chambre ; la voiture de l’administration pénitentiaire n’est jamais venue et je n’ai donc pas pu assister à l’enterrement de ma mère. Cela m’a beaucoup affecté, affaibli même. Je pense que toute ces maladies que j’ai eu à attraper, c’est, en partie, à cause de ça.
C’était en quelle année ?
C’était en 2020.
Et pour votre père ?
Quelques mois plus tard, j’ai quitté Rebeuss pour le pavillon spécial, parce que j’avais une fracture à la hanche, qui me faisait souffrir. Il est décédé le 5 janvier 2021. Il avait, lui aussi, foi en mon innocence. Son décès a été un autre poids sur ma conscience, car je me culpabilisais encore. Finalement j’ai craqué ; c’était moi qui remontait le moral à certains détenus, mais le décès de mon père a été la goutte d’eau de trop. Et même jusqu’à présent, il m’arrive de verser des larmes quand je suis seul et que je repense à tout ça. Je me dis qu’ils seraient peut-être tous les deux en vie si on ne m’avait pas accusé de tout ça.
Comment se passe aujourd’hui votre réinsertion dans la société, avez-vous commencé à travailler ?
Je travaillais à Dakar Terminal. Toute la durée de ma détention, la Direction m’a soutenu. Ce, jusqu’à ce que je sorte de prison. Mais, à partir de décembre 2022, les problèmes ont démarré. Je suivais un traitement et j’ai été hospitalisé à Principal, pendant une vingtaine de jours. Je sors en fin décembre, j’ai voulu acheter mes médicaments, mon gestionnaire de compte m’informe qu’on n’avait pas viré mon salaire. J’ai appelé à la Direction et on m’apprend que le salaire a été bloqué. Depuis lors, rien du tout. Aujourd’hui, on est en contentieux devant le Tribunal du travail ; parce que même si j’ai été condamné pour corruption, je rappelle que j’ai fait appel de la décision. Ils m’ont envoyé une lettre de licenciement comme s’il y avait une décision définitive de condamnation, alors que ce n’est pas le cas. Depuis décembre 2022 jusqu’à aujourd’hui, je suis resté sans salaire, sans droit ni rien du tout. Ils ont tout bloqué, les prises en charge médicales et tout. Je comptais sur cela pour le traitement des maladies, diabète, hypertension, estomac. Ma santé se détériore de jour en jour. Ils ont même bloqué le chèque qu’ils m’avaient remis et qui devait me servir à acheter la prothèse. Ma jambe empire de jour en jour, j’ai des difficultés pour marcher. Heureusement, parfois, ce sont mes frères et sœurs qui me soutiennent ou des gens de bonne volonté.
Où en êtes-vous avec votre procédure en justice ?
C’est devant le Tribunal du travail de Pikine, l’audience doit avoir lieu le 7 novembre prochain. Cela a fait l’objet de plusieurs renvois.
Aujourd’hui, avec tout ce qui s’est passé, qu’est-ce que vous ressentez ?
Je ressens de l’amertume. Quand tu as été bien éduqué avec toutes les valeurs morales, religieuses etc. : tu ne fumes pas, tu ne bois pas de l’alcool ; et qu’on t’emballe dans une histoire de trafic de drogue…, on ne peut pas qualifier vraiment ce qu’on ressent. Toute ta réputation est ternie. Aujourd’hui, tu constates le comportement de certaines personnes qui te blessent. Il y a des gens qui te fuient, qui ont peur de toi ; parfois tu sollicites une personne pour un travail, mais elle refuse parce qu’elle a peur. C’est toujours le passé pénal. Je ne veux pas être rancunier, mais j’ai décidé de rester dans mon petit coin. Je sais maintenant comment sont les gens. J’ai aidé beaucoup de gens, mais aujourd’hui personne ne veut t’aider, même pour avoir du travail, ce n’est pas possible. Il y a un genre de travail que je peux faire, le temps de faire mon opération pour pouvoir retrouver la mobilité. Il y a également ce sentiment de culpabilité qui me ronge, par rapport à la mort de mes parents. En plus, il m’est aujourd’hui difficile de subvenir à mes besoins. J’ai une femme et deux enfants ; c’est mon frère qui a pris en charge les enfants. C’est très difficile. Même pour mes médicaments, c’est la galère.
Quel message voulez-vous lancer ?
Je lance un appel au nouveau régime, au Président Bassirou Diomaye Faye, à Ousmane Sonko, au ministre de la Justice et au ministre de l’Emploi. Je voudrais attirer leur attention sur l’injustice que je vis actuellement à cause de mon différend avec la Direction de Dakar Terminal. Je lance un appel aux autorités et à toute bonne volonté afin que l’on puisse m’aider à faire l’opération, mais également que je puisse retrouver un emploi qui pourrait me permettre de subvenir à mes besoins et gérer ma famille. Je voudrais attirer l’attention des autorités sur un fait : on ne doit pas arrêter une personne pour ensuite aller chercher des preuves. Mettre en prison un individu pendant presque quatre ans pour finalement l’acquitter, cela ternit l’image de la personne. Ce sont toutes ces accusations fausses qui aujourd’hui m’ont valu toutes ces tracasseries, tous ces ennuis financiers et de santé. Je voudrais attirer l’attention des autorités sur ça. J’ai voulu participer aux assises de la justice, mais je n’avais pas la possibilité.
Propos recueillis par
Alassane DRAME