11 FEVRIER 2019-11 MARS 2019,UN MOIS APRES LE DRAME DE TAMBA: retour sur les lieux du crime



 
Il y a exactement un mois que survenait l’évènement meurtrier de Tambacounda. Deux morts, dont l’un, Ibou Diop, poignardé par un des gardes du corps du candidat El Hadj Issa Sall, Moustapha Ndiaye, et l’autre heurté par le chauffeur du véhicule de la télévision Mourchid TV, Ibrahima Ndoye. Comme si de rien n’était, la vie a repris son cours normal dans le quartier Dépôt où tout a commencé. Et à la maison d’arrêt et de correction de Tambacounda, les 15 détenus attendent d’être fixés sur leur sort. Ils feront face au juge mercredi et jeudi prochains. Reportage.
 
 
 
 
 
Nous avons quitté Dakar à 00h20 minutes pour arriver à Tambacounda à 7h30 le vendredi 8 mars 2019. Après 7h10 minutes passées sur la route, nous franchissons la porte du tribunal régional en quête de permis de visite. C’est 1h30 mn plus tard que le fameux sésame nous est remis. Maintenant, cap sur la maison d’arrêt et de correction de Tamba, sise au quartier «Liberté». Comme mentionné sur le permis, les visites, c’est de 9h à 11h45 le matin et de 15h à 17h le soir. Chaque visiteur a droit à seulement 5 minutes. A l’intérieur, on est loin de s’imaginer ce décor : une cuisine au fond, en pleine préparation du déjeuner, des murs fraîchement peints, des couloirs propres. Nous franchissons un hall d’accueil où attendaient les détenus. Après les salutations, tout le monde s’assoit, sous la surveillance des gardes pénitentiaires. Heureux de voir les gens leur rendre visite, tous les inculpés avaient de larges sourires et parlaient à haute voix. Certains étaient méconnaissables. Normal, ils ont enlevé leurs tenues habituelles pour se mettre t-shirt et pantalon. Pour ce qui est de leur forme physique, rien n’a vraiment changé. 5 minutes seulement de discussion, le sifflet retentissait et ce fut la fin de la visite. 
 
Des détenus libres mercredi et jeudi ? 
 
Moustapha Ndiaye, le présumé meurtrier de Ibou Diop, Ibrahima Ndoye le chauffeur qui a fauché mortellement Cheikh Touré Alias Mathieu, Ousmane Sidibé, Mouhamadou Moustapha Ndiaye, Sidiya Diatta, Ibrahima Kébé, Mouhamadou Moustapha Mbodj, Ibrahima Niang, Serigne M. Fall, Mamadou L. Sène, Moustapha Diakhaté, El Hadji Seck, Mor Ba, Aly Dieng et Ibrahima Mbar Diouf, ainsi que le partisan de Benno Bokk Yakaar, Abdoulaye Bara Bangoura alias Laye Paka (couteau), lui aussi inculpé, sont convoqués par le juge après-demain mercredi et jeudi prochains. Le procès d’Ibrahima Ndoye, renvoyé à plusieurs reprises, va finalement se tenir, sauf autre renvoi, après-demain mercredi 13 mars. Il lui est reproché d’avoir mortellement fauché Cheikh Touré. Il est poursuivi pour homicide involontaire et délit de fuite. Selon certaines informations, il pourrait recouvrer sa liberté, après-demain mercredi. Pour le reste du groupe, qui doit répondre le jeudi, une demande de liberté provisoire sera introduite, assure-t-on. Si procès doit y avoir, on annonce un procès à huis clos pour ne pas réveiller de douloureux souvenirs devant un public hostile. 
 
193 visites en 1 mois, Issa Sall le grand absent
 
 
Le nombre explosif de visites n’est pas passé inaperçu, selon nos sources. En effet, les détenus du PUR ont reçu 193 personnes depuis le 19 février, date de leur arrivée à la Maison d’arrêt et de correction de Tamba. Selon notre interlocuteur, qui a préféré garder l’anonymat, même s’ils n’ont droit qu’a deux jours de visite par semaine, il y a toujours une grande affluence. «C’est toujours un grand rush lors de leurs jours de visite les mardis et vendredis par semaine. D’ailleurs, ils ont un livret spécial pour l’enregistrement de leurs visites, tellement, ils reçoivent beaucoup de visiteurs», assure notre source. L’absence la plus pesante, c’est celle d’Issa Sall. Plus de deux semaines après l’élection présidentielle, Issa Sall n’est toujours pas allé les voir. Une absence non encore justifiée. Une information confirmée par les détenus ainsi que notre source. «Issa Sall n’est pas encore venu ici. Mais quand même, les membres du bureau politique se sont déplacés pour rendre visite aux détenus. A chaque fois, ils se déplacent pour assister aux procès et ils ont aussi commis des avocats pour leur défense», a-t-il précisé.  
 
«10 à 15 avocats minimum promis par Me Ousseynou Gaye», selon M. Tamba
 
Dans cette affaire, Me Ousseynou Gaye est le coordonnateur du pool d’avocats de la défense. Selon nos sources, après sa dernière visite, il a promis aux 15 détenus du camp de Pur qu’en plus des deux avocats qu’ils ont déjà, ils auront 10 à 15 autres conseils en sus. «Je n’ai pas encore le nombre exact des avocats, mais je sais déjà qu’au niveau de Tamba, ils en ont deux. Me Ousseynou Gaye, l’un des avocats de la défense, lors de sa dernière visite, a promis aux détenus qu’ils auront au minimum 10 à 15 avocats», déclarent nos sources. 
 
Espoir de décrispation et de libération 
 
 
L’espoir de retrouver la liberté anime visiblement tous les détenus. Un souhait partagé par les avocats, les membres du Pur et notre source proche du dossier. «On a vraiment un grand espoir qu’ils soient libérés, après avoir fait face au juge jeudi dernier. C’était un dossier foncièrement politique, mais avec le contexte de cette campagne électorale, les nerfs étaient tendus, donc pour un rien, tout pouvait basculer», a déclaré notre source avant d’ajouter : «pour aller dans l’apaisement, après les élections, on doit pouvoir les libérer et commencer à enterrer la hache de guerre», lance-t-il. 
 
Les conditions de détention jugées correctes, des détenus forts mentalement  
 
De l’avis des détenus et de notre source proche de l’administration pénitentiaire, les conditions de détention sont très correctes. Ce, depuis le commissariat jusqu’à leur transfert à la Maison d’arrêt et de correction de Tamba, avec le soutien et la présence des membres du Pur de la localité. «Les détenus vivent dans des conditions très correctes. Parce que déjà, les membres du Pur, les Moustarchidines et les bonnes volontés les assistent au plan alimentaire, sanitaire et de l’habillement. Mais le plus important, c’est l’aspect psychologique», explique notre source qui, en passant, magnifie le mental de fer des détenus, qui, au lieu d’être découragés, encouragent les gens qui viennent les voir. «En général, les détenus reçoivent plus la compassion des gens qui sont dehors, mais, dans cette situation, c’est le contraire. Ce sont eux qui ont pitié. Quand on va les voir, on ressent cette commisération venant d’eux. Ceux qui sont allés les voir ont dû remarquer la force de leur mental. Tout cela se traduit par l’éducation qu’ils ont reçue de leurs parents. Je les taquine à chaque fois, en leur disant qu’ils ont grossi et qu’on va leur trouver des combats dès leur sortie», dit notre interlocuteur.
 
Un mois après, la vie reprend son cours à Tamba
 
Dans les rues de Tambacounda, le mal persiste toujours, mais la vie a repris son cours dans la ville, selon tous les interlocuteurs interpellés, qui soulignent que les gens n’en parlent presque plus. «Les gens sont passés à autre chose, bien que le mal soit toujours dans les cœurs. C’est une affaire que les gens n’oublieront pas très rapidement, mais les choses se tassent. Comparé à la première semaine, où la tension était sensible, les gens n’en parlent presque plus. D’ailleurs, à l’instar de la presse, qui ne parle plus du problème, les gens d’ici aussi ont adopté le même comportement. C’est dans quelques rares occasions qu’on en parle à Tamba», nous disent-ils. 
Au quartier où le drame a eu lieu, à part les bus de transport qui y stationnent et les motos Jakarta qui passent de temps à autre, la vie y est calme. Même décor devant la maison mortuaire. Seul un vieux en sous-vêtement a été aperçu devant l’entrée. 
 
Les réactions glaçantes des parents de détenus après l’incarcération de leurs fils 
 
Certains parents n’ont jamais fait le déplacement pour rendre visite à leurs enfants. La raison est simple : Tambacounda, ce n’est pas la porte d’à côté. Mais ils ont tous été contactés pour information. Les réactions les plus inattendues ont été celles du père d’un détenu et de la mère d’un autre. En effet, au lieu d’être en colère ou de s’inquiéter de la situation de leurs enfants, ces parents ont réagi autrement. Fervent talibé moustarchidine, joint au téléphone, un père a envoyé une motivation pas comme les autres à son fils détenu à la Mac de Tamba. «Dites à mon fils que si aujourd’hui j’avais sa force, je serais à sa place en prison», a-t-il indiqué. Avant de poursuivre : «il doit s’en remettre à Dieu, se calmer et se ressaisir. Dites-lui que son père n’est pas fâché contre lui», a confié ce père de famille dont nous préférons taire le nom, à nos interlocuteurs. Et de rajouter «Dieu a décidé ce passage dans leurs vies et ils ne pouvaient y échapper. Que Dieu les protège», explique-t-il. 
Autre parent, autre réaction, plus étonnante. Une mère a dansé après avoir reçu la nouvelle que son fils a été arrêté. Elle s’explique : «je suis dans le Dahira depuis 30 ans, mes enfants y sont nés et y ont grandi. Je jure que je n’ai pas eu mal quand j’ai appris la nouvelle. Je n’ai appelé personne. Il n’y aura que la paix Inch Allah. Pour moi, ce n’est pas un problème pour mon fils, mais son destin. Quand je pense à lui, c’est seulement pour la température élevée à Tamba, sinon, je sais que rien de mal ne pourra lui arriver. Je n’ai que des garçons, son petit-frère devait les rejoindre, pour la deuxième partie de la caravane, mais Dieu en a décidé ainsi. Je les encourage». Elle ajoute : «quand je dansais lors de la caravane, ici à Dakar, après l’incarcération de mon fils, tout le monde me regardait en pleurs. Je leur ai demandé : ‘’mais pourquoi vous pleurez ? Ces jeunes-là sont partis en mission’’. Quiconque veut le bien ici-bas doit se battre pour l’avoir, surtout en termes de religion. L’autre chose, c’est que c’est la politique, mais je pense qu’ils vont s’en sortir avec l’aide de Dieu». Avec son intuition de mère protectrice, elle soutient avoir vu le scenario arriver. «Je jure sur mon marabout Serigne Moustapha que j’ai tout vu avant leur départ. Tout ce qui reste, c’est de laisser les choses entre les mains de Dieu», déclare-t-elle. 
 
 
 
Marianne Ndiaye
 

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